Quelques réflexions sur le rapprochement

Le mouvement du rapprochement des confessions musulmanes a commencé en Egypte comme un mouvement culturel pour revaloriser la pluralité intellectuelle, idéologique, historique et doctrinaire au sein du monde musulman.

Le mouvement du rapprochement a joué un rôle de premier plan dans la présentation et la détermination des approches intellectuelles et dans le renforcement de la convergence parmi les différentes confessions islamiques, et il a réussi à éloigner les idées takfiristes des mouvements progressistes islamiques. Cependant, le changement de la situation générale du monde musulman, notamment sur le plan politique et social, et le développement des activités des courants rétrogrades ont empêché la poursuite du mouvement du rapprochement, tandis que le monde musulman était plus que jamais l'objet des offensives et des complots de l'arrogance et des ennemis de l'Islam.

Un complot dangereux a été élaboré parmi les populations musulmanes dont l'objectif était de créer une profonde insécurité politique et une périlleuse instabilité dans les sociétés islamiques, rendant le terrain favorable à la provocation et à l'intensification des divergences parmi les adeptes des différentes confessions, afin d'anéantir la possibilité de leur unité. Dans ce complot général, les ennemis des Musulmans ont essayé de créer une ambiance culturelle favorable à la provocation et à la revivification des animosités et des rancunes d'antan, de sorte que les Musulmans se préoccupent des querelles et des conflits historiques, au lieu de se réunir pour résoudre les problèmes actuels et les défis contemporains du monde musulman.

Des notions comme "Takfir", c'est-à-dire "anathème", ont été développées pour concerner jusqu'aux questions d'intérêt secondaire, en prétendant que toute divergence de vue parmi les différentes confessions, même s'il s'agit des questions secondaires, doit être considérée comme différends sur les principes fondamentaux de la religion … Selon cette logique erronée, de nombreuses fatwas ont été émis pour frapper d'anathème les adeptes d'autres confessions, et pour jeter l'anathème sur les oulémas qui ont eu des points de vue différents. Certains muftis sont allés plus loin, jusqu'à prétendre que les mécréants ou les non musulmans seraient meilleurs que les Musulmans ayant des idées différentes de celles des émetteurs de ces fatwas. Dans cette approche, ces oulémas ont repris le chemin des Juifs de Médine, à l'époque du vénéré Prophète, lorsqu'ils jugeaient que les païens étaient mieux que les Musulmans !

Après l'échec du mouvement du rapprochement des confessions musulmanes, la pluralité des confessions et des jurisprudences a cédé sa place à la pluralité des religions. L'écart entre les communautés s'est approfondi de plus en plus. Les puissances arrogantes se servent de tous leurs moyens culturels, politiques et sécuritaires pour approfondir le fossé de la discorde parmi les populations musulmanes, pour empêcher ainsi l'unité et la solidarité des Musulmans autour de leurs points de vue communs.

Aujourd'hui, l'Oumma islamique souffre partout, de l'est à l'ouest, du nord au sud, de la faiblesse et de l’oppression. Il paraît même qu’il y a une sorte de relation dialectique entre ces deux notions de « faiblesse » et d’« oppression », tandis qu’auparavant, le monde musulman ne souffrait guère d’un tel problème, tout au long de sa brillante histoire. Mais aujourd’hui, nous sommes aux prises avec ce double problème et nous sommes face à cette réalité amère et désagréable : Nous sommes la plus grande Oumma de l’histoire, et nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation qui n’est pas digne de nous par rapport aux autres nations du monde.

Mais pourquoi la faiblesse s’est généralisée chez nous ? Pourquoi devons nous supporter l’oppression des puissances étrangères, notamment les superpuissances du monde ? Pourquoi ne nous efforçons-nous pas de remédier à cette mauvaise situation de déclin, d’effondrement et de division, dans laquelle nous nous trouvons ? Et la question la plus légitime qui se pose est de savoir pourquoi nous ne cherchons pas à identifier les raisons de notre faiblesse qui prépare le terrain à l’oppression des nations musulmanes par les puissances étrangères. Il est vrai que les grandes puissances arrogantes sont responsables de l’oppression que subissent les peuples musulmans, mais quelles sont les racines de notre faiblesse ?

Et enfin la dernière question qui a le droit de se poser est de savoir si nous avons le courage d’appeler les choses par leurs vrais noms, pour pouvoir trouver sérieusement une sortie pour mettre fin à la faiblesse actuelle.

Nous pouvons ici poser encore une autre question : Quels sont les programmes et les mécanismes appropriés pour réaliser cette tâche à la fois difficile et importante ? Quel est le moyen le plus approprié pour pouvoir faire suite aux efforts et aux plans visant à renforcer le rapprochement parmi les différentes confessions islamiques ?

Nous devons essayer d’être clairs et transparents. Nous devons nous efforcer, avant tout, de reconstruire les ponts de confiance parmi nous-mêmes. Tout au long de notre histoire, ces ponts de confiance ont été détruits ou brisés par des facteurs que nous pouvons classifier souvent comme facteurs politiques. En réalité, les dirigeants politiques, n’ont jamais eu de bonnes relations avec les adeptes des confessions, qui n'adhéraient pas à la religion officielle d’Etat. Au lieu d’accorder la liberté de conscience et la liberté de culte aux adeptes d’autres religions, ils ont souvent eu tendance d’adopter une position d’exclusion et d’anathème par rapport aux différentes confessions. Ils accusaient très facilement les adeptes de ces confessions d’anathème et d’hérésie.

Par conséquent, la logique erronée de Takfir s’est développée largement dans l’esprit des masses, sans que les gens connaissent réellement les raisons de ce point de vue hostile. En réaction à cette hostilité gratuite, les adeptes des confessions accusées d’hérésie et d’anathème s’isolaient et s’écartaient de la société, craignant que leur vie et leurs biens soient menacés par le pouvoir politique et les adeptes de la religion d’Etat. Pendant certaines périodes historiques, ces minorités confessionnelles n’avaient pratiquement d’autres choix que l’isolement et la fuite du milieu social, pour se placer en marge de la société. La poursuite de cette situation renforce encore davantage la logique d’anathème et d’exclusion dans l’esprit des gens et dans la conscience collective de la société, sans que l’on connaisse véritablement la raison profonde.

L’arrivée des puissances colonialistes dans les pays musulmans, au début du XXe siècle a coïncidé donc avec la division confessionnelle et religieuse parmi les populations musulmanes, sans qu’il y ait un mouvement organisé au sein des sociétés islamiques pour renforcer la convergence parmi les adeptes de différentes confessions islamiques. Dans le même temps, les puissances colonialistes essayaient d’approfondir la discorde et la division parmi les musulmans pour empêcher toute démarche visant l’unité et la solidarité parmi les différentes communautés confessionnelles. Compte tenu de ce passé historique, nous nous retrouvons aujourd’hui face à deux types de dangers et de problèmes qui menacent, les uns comme les autres, le projet d’un rapprochement durable.

Le premier type de problèmes consiste en une série de discordes et de divisions qui puisent leurs sources dans les questions d’ordre politique. Mais nous ne devons pas perdre de vue notre responsabilité, qui est la nôtre en tant qu’acteurs principaux de ces divisions. Ces divergences ont été malheureusement théorisées depuis longtemps sur les fondements théologiques, idéologiques et religieux afin qu’elles marquent le plus profondément possible l’esprit et la conscience des Musulmans.

Le deuxième type de problèmes consiste en une série de problèmes que nous ont imposés les puissances colonialistes et les impérialistes étrangers. Cela nous mène à une situation extrêmement désagréable à laquelle nous devons mettre fin. Le projet du rapprochement des confessions islamiques est, à cet égard, la seule voie permettant de rapprocher les adeptes de différentes confessions et d’assurer leur unité intérieure pour leur permettre de dresser un front uni face aux puissances arrogantes étrangères.

Pour pouvoir réaliser cet objectif, il faudra d’abord identifier une série d’actions prioritaires dont certaines sont étroitement liées aux questions théologiques et doctrinaires, tandis que certaines autres sont liées plutôt aux questions d’ordre politique.

· En ce qui concerne les priorités théologiques et doctrinaires, il faut surtout faire attention aux questions suivantes :

- Nous devons, avant tout, essayer de connaître l’esprit et les méthodes du dialogue tel que le Coran nous enseigne. La méthode coranique du dialogue nous appelle à sortir du cercle fermé de notre entourage immédiat pour entrer ensuite dans un espace beaucoup plus vaste de pensée et de réflexion. En d’autres termes, la méthode du Coran consiste à développer le rationalisme jusqu’à l’infinie, tout en respectant profondément les points de vue de notre interlocuteur du dialogue.

- Nous devons essayer tous de considérer l’Islam en tant que le premier facteur du rapprochement. En d’autres termes, les formules de l’attestation de la foi (chahâdateïn) doivent être considérées comme les principes de base, tandis que tout individu serait libre d’adopter toute confession de son propre choix. Dans ce contexte, cet individu bénéficiera de tous les droits individuel et collectif d’un Musulman, et il faut respecter pleinement sa personne, ses biens, son honneur et sa vie.

- Nous devons essayer de supprimer totalement la logique de Takfir (anathème) parmi les populations musulmanes. Cela nécessite le développement d’un esprit de tolérance qui doit être respectueux des différences qui pourraient exister parmi les différentes confessions islamiques, à des niveaux différents.

- Nous devons considérer la diversité et le pluralisme parmi les différentes confessions islamiques comme une multiplicité au sein d’une grande unité. Autrement dit, il faut respecter toutes les jurisprudences dans le cadre plus large d’un Islam unificateur. Cela nous conduit naturellement à ne pas considérer comme faux, illogiques ou inacceptables autres confessions islamiques, en raison de leurs différences éventuelles avec la nôtre. Il ne faut surtout pas considérer les adeptes d’autres confessions comme ennemis. Dans ce cadre, il incombe aux penseurs et aux oulémas musulmans de propager parmi les gens les méthodes correctes du dialogue afin que les effets positifs du dialogue se développent au sein des populations musulmanes, et dans tous les aspects de la vie sociale et culturelle.

- Nous devons ensuite propager parmi les adeptes de toutes les confessions islamiques, l’esprit de paix, de liberté, d’amitié et de coexistence pacifique. Il s’agit d’une obligation religieuse et d’un devoir culturel et civilisationnel que les penseurs, les intellectuels et les oulémas musulmans doivent strictement respecter dans le cadre des responsabilités qui sont les leurs.

- Il faut lutter fermement et très sérieusement contre les efforts des individus et des groupes fanatiques et radicaux qui cherchent à attiser les différends et les divergences parmi les adeptes des confessions islamiques. Il faut demander à ces gens-là de se soumettre à la volonté du Seigneur. Il est à noter que certains problèmes proviennent du fait que lors de nos réunions et conférences, chacun de nous avance des théories conformes à l’idée du rapprochement des confessions, mais sur le plan pratique, nous revenons à nos prises de position fanatiques et nous interdisons souvent aux membres de notre groupe de connaître les avis et les opinions des autres, en les mettant en garde contre le risque d’égarement et de dérive.

- Il est très important de concentrer le dialogue autour des méthodes que nous apprend le Coran pour respecter les avis et les opinions de notre interlocuteur, même s’il n’est pas musulman. Dans un dialogue, nous devons être conscients du fait que notre interlocuteur peut avoir beaucoup de points communs avec nous, de sorte qu’il est même possible de trouver des points de vue communs sur diverses questions, même avec des athées et des gens qui ne croient à aucune religion.

· En ce qui concerne les priorités politiques, il faut surtout faire attention aux questions suivantes :

- Il incombe à nous tous de faire une distinction nette et claire entre les questions essentielles et les affaires secondaires dans les sociétés musulmanes dans le monde entier. Nous devons savoir qu’il y a évidemment des questions essentielles et générales qui touchent l’ensemble de l’Oumma islamique. En effet, aucun individu, autorité ou dignitaire islamique, ni un seul parti politique ou gouvernement n'a le droit d’intervenir tout seul et de prendre unilatéralement des décisions à ce propos. Car en ce qui concerne ces questions d’intérêt commun, tout préjudice éventuel concernera l’ensemble des Musulmans du monde entier.

- Par contre, il y a certainement des questions d’intérêt national et patriotique. Etant donné que la terre de l’Islam se divise en plusieurs entités géographiques et nationales, il est nécessaire, de toute évidence, de respecter le droit de chaque entité nationale au sein de l’Oumma islamique d’exercer sa souveraineté nationale en ce qui concerne ce type de question. Il est normal que dans ce cadre particulier, chaque entité soit libre d’exercer ses propres facteurs confessionnels dans son milieu intérieur et dans son espace national.

- L’arrogance mondiale, en général, et les Etats-Unis en particulier, ont visé depuis très longtemps l’anéantissement des intérêts de l’Islam et des Musulmans. Pour résister à cette hostilité à l’égard de l’Islam et des Musulmans, il incombe aux Musulmans du monde entier de se mettre d’accord sur les modalités d’un combat collectif pour neutraliser et déjouer ces complots.

- Il incombe à toutes les populations islamiques et à leurs dirigeants de réviser de façon tout à fait coordonnée les termes et les expressions couramment utilisés dans le langage politique contemporain, notamment en ce qui concerne des notions telles que le terrorisme, la violence et le mal, car aujourd’hui, c’est sous prétexte de lutter contre ces notions, que l’Arrogance mondiale cherche à porter atteinte aux intérêts du monde musulman.

- Le monde musulman doit se doter le plus tôt possible d’un discours unique et d’une rhétorique unifiée afin de pouvoir créer un front uni face aux puissances qui se battent contre l’unité des Musulmans. Dans ce contexte, il est nécessaire que les penseurs musulmans se mettent d’accord sur la définition des notions et des termes utilisés couramment dans les relations internationales, afin d’empêcher la divergence de vue parmi les Musulmans.

L’unité islamique n’est pas une pancarte que nous puissions mettre devant nous. Elle n’est pas un simple slogan que nous puissions réaliser à force de le répéter. Par contre, l’unité islamique est une réalité extérieure, qu’elle soit effective ou potentielle, et qui se lie très intimement avec l’existence même de l’Islam dans un monde plein de chaos et de désordre où nous vivons aujourd’hui.

Pour donner une conclusion, il faut souligner que si nous ne réussissions pas à réaliser l’unité des Musulmans, nous n’aurions pas de moyens pour résoudre nos divergences et nos différends intérieurs. Dans une telle situation, comment pourrions-nous prétendre que nous avons accompli notre devoir religieux, en tant que Musulmans, en ce qui concerne l’idéal coranique de l’établissement de l’Oumma islamique ?

Nous devons donc être tout à fait conscients que nous nous retrouvons, à l’heure actuelle, devant des défis communs qui sont très importants. Nous devons savoir que l’époque contemporaine est un tournant historique très décisif pour toutes les populations musulmanes, une époque historique exceptionnelle dans l’histoire de l’Islam, en ce qui concerne la gravité des dangers qui menacent aujourd’hui les Musulmans du monde. Nous devons rester donc très vigilants, en sachant que si nos différends persistent, ils risquent de porter atteinte fatalement aux intérêts de nous tous.

 

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