L'ISLAM ET LA VIE MODERNE

La question de la Religion et de la modernité est l'un de ces sujets qui ne concernent pas seulement les Musulmans. D'autres religions aussi ont eu à faire face à cette question, encore plus que nous. Beaucoup d'intellectuels dans le monde ont renoncé à la religion parce qu'ils ont cru que la religion est incompatible avec la vie moderne. Ils pensent que l'inertie, la stagnation et la rigidité sont des propriétés inhérentes à la religiosité. En d'autres termes, ils estiment que l'inertie, la monotonie et le statu quo sont les caractéristiques de la religion.
Le défunt Nehru, l'ex-Premier Ministre indien, avait des idées laïques et ne croyait à aucune religion. Il ressort de ses déclarations que ce qui le rendait allergique à la religion, c'était d'après lui la rigidité et la monotonie de celle-ci.
Vers la fin de sa vie, il sentait un vide en lui et dans le monde, et a cru que ce vide ne pourrait être rempli que par une force spirituelle. Cependant, il gardait encore son aversion pour la religion, car il pensait toujours qu'un état de rigidité et de monotonie prévaut dans toutes les religions.
Un journaliste indien, M. Karanjia, avait interviewé Nehru vers la fin de sa vie ; c'était apparemment la dernière interview au cours de laquelle le dirigeant indien a exprimé ses points de vue sur les problèmes généraux du monde. Evoquant Gandhi, le journaliste lui dit : «Certains esprits libéraux et progressistes croient que Gandhi a infléchi et modéré, par ses solutions émotionnelles et ses moyens moraux et spirituels, votre croyance originelle au socialisme scientifique.» Nehru a répondu : «C'est bien et même nécessaire de tirer avantage des moyens moraux et spirituels. J'étais toujours d'accord avec Gandhi à cet égard. Je crois qu'il est nécessaire de s'armer de plus en plus de ces moyens, car maintenant plus que jamais nous avons besoin de réponses spirituelles et morales aux questions que pose le vide moral créé par la culture moderne qui se répand.»
Puis le journaliste lui posa des questions sur le marxisme. Nehru admit l'imperfection de cette doctrine, et souligna ses défauts. Il suggéra encore une solution spirituelle aux problèmes du monde. Là, le journaliste saisit l'occasion pour lui dire franchement : «M. Nehru, votre conception actuelle des solutions morales et spirituelles ne vous rend-elle pas différent du Nehru d'hier ? Ce que vous venez de dire laisse penser que le Nehru de la fin de sa vie se met à la recherche de Dieu.»
Nehru répondit : «Oui, j'ai changé. Mon insistance sur les valeurs morales et spirituelles n'est pas fortuite» ; et d'ajouter : «Maintenant, la question qui se pose est comment rehausser la morale et la spiritualité au plus haut niveau. Certes la religion devrait pouvoir accomplir cette mission, mais malheureusement, elle a pris la forme d'un ritualisme myope et rigide et s'est réduite à des formalités rigides. Seules sa forme extérieure et sa coquille ont survécu, alors que son esprit et sa conception authentiques ont disparu.»
L'Islam et les exigences de l'époque moderne.
De toutes les religions, l'Islam est la seule qui s'occupe de tous les aspects de la vie humaine. Ses enseignements ne se limitent pas aux actes d'adoration, à la prière et à une série de conseils moraux. De même qu'il traite des relations de l'homme avec Allah, de même il trace les grandes lignes des relations de l'homme avec l'homme. Il traite sous différentes formes des droits et devoirs individuels aussi. C'est pourquoi la question de savoir si ses enseignements sont applicables ou non aux changements constants des circonstances et à l'évolution des époques est pertinente dans le cas de l'Islam plus que dans celui de n'importe quelle autre religion.
Notons au passage que beaucoup d'intellectuels et d'écrivains non musulmans ont étudié les lois sociales et civiles de l'Islam et conclu qu'elles constituent un corps de lois progressistes. Ils ont rendu un grand hommage à l'Islam en tant que religion vivante et éternelle, et ont reconnu la validité et l'actualité de ses lois à toutes les époques et toutes les circonstances.
Le célèbre écrivain libéral anglais Bernard Shaw a dit : «J'ai toujours tenu en haute estime la religion de Mohammad à cause de son étonnante vitalité. Elle est la seule religion qui m'apparaît apte à s'adapter aux changements des circonstances, à la variété des situations et à l'évolution des époques. Et je prédis -en m'appuyant sur les signes de cette prédiction qui se manifestent d'ores et déjà- que la religion de Mohammad sera acceptable en Europe demain.»
«Les hommes de clergé du Moyen Age avaient, soit par ignorance soit par fanatisme, brossé un portrait sombre de la religion de Mohammad. Ils détestaient en fait et l'homme et sa religion, et le considéraient à tort comme étant l'ennemi de Jésus Christ. J'ai étudié profondément cet homme étonnant et extraordinaire, et à mon avis, loin d'être un anté-Christ, il mérite l'appellation de Sauveur de l'Humanité. Je crois que si un homme comme lui dirigeait aujourd'hui le monde moderne, il réussirait à résoudre ses problèmes de manière à lui apporter la paix et le bonheur qui lui manquent.»
Le Dr. Chibli Châmel, un Libanais matérialiste arabe, a traduit pour la première fois "l'Origine des Espèces" de Darwin en arabe avec un commentaire d'un scientifique allemand, Bouchner, en lui donnant le titre de "Arme contre les croyances religieuses". Bien qu'il soit matérialiste, il n'a éprouvé aucune gêne en affichant son admiration pour l'Islam en tant que religion vivante et applicable à toutes les époques.
Cet homme a écrit dans le second volume de son livre intitulé "Philosophie de l'Evolution", et publié en arabe, un article portant le titre de "Le Coran et la Civilisation" en vue de réfuter les assertions d'un non-Musulman qui, ayant travaillé dans les pays musulmans, avait prétendu que l'Islam est responsable du déclin des Musulmans.
Chibli Châmel a essayé de démontrer qu'en réalité la cause du déclin des Musulmans est leur déviation des enseignements sociaux de l'Islam, et que ceux des Européens qui attaquent l'Islam le font, soit par ignorance, soit dans l'intention de faire douter les peuples orientaux de leurs lois et de leur système afin de les maintenir sous la tutelle de l'Occident.
De nos jours la question de savoir si l'Islam est compatible avec l'époque moderne devient brûlante. Lorsque nous rencontrons des gens de toutes les catégories sociales, et notamment ceux des classes cultivées, nous remarquons que cette question est posée plus que n'importe quelle autre question.
Objections
Parfois, ces gens donnent une tournure philosophique à leur discussion et disent que puisque tout dans ce monde est sujet à changement et que rien n'est statique ni stationnaire, y compris la société humaine, comment peut-on concevoir qu'un corps de lois demeure immuable à travers les âges ?
Si nous considérons cette question d'un point de vue purement philosophique, la réponse en est simple. Ce sont les choses matérielles du monde qui subissent des changements constants, qui se développent et déclinent, et qui sont sujettes à l'évolution et à la décadence. Quant aux lois universelles, elles ne changent pas. Par exemple, les êtres vivants évoluent conformément à des lois spécifiques, et les scientifiques ont mis en évidence les lois de cette évolution. Il n'y a donc pas de doute que les êtres vivants changent constamment, mais les lois de leur évolution et de leur développement ne sont soumises à aucun changement. En parlant des lois, il faut noter qu'il n'y a pas de différence entre les lois naturelles et les lois positives, car il est possible que celles-ci, qui avaient été conçues et promulguées par l'homme, aient eu pour source la nature elle-même, et qu'elles soient conformes au processus d'évolution des individus et de la société humaine.
En tout cas, les interrogations sur la compatibilité ou l'incompatibilité de l'Islam avec les exigences de l'époque n'ont pas qu'un aspect philosophique et général. La question qui se pose le plus souvent est que, puisque les lois sont promulguées en fonction des besoins de l'homme, et que les besoins sociaux de l'homme sont évolutifs, comment les lois sociales pourraient-elles dès lors être immuables ?
Cette question est pertinente, et la réponse en est que l'un des miracles de l'Islam est justement le fait qu'il a promulgué des lois immuables pour les besoins immuables de l'homme, et des lois souples et élastiques pour ses besoins provisoires et changeants. C'est ce que nous allons expliquer avec plus de détails et dans les limites où notre exposé nous le permet.
Avec quoi le Temps est-il lui-même Compatible ?
Avant de répondre à cette question, nous aimerions attirer l'attention sur deux points :
Le premier point est que la plupart des gens qui parlent de progrès, de développement et de changement dans une situation supposent que tout changement social, surtout si sa source se trouve en Occident, est la conséquence du progrès et du développement. C'est là l'une des idées les plus erronées que la génération actuelle ait entretenues.
Ces gens ont l'impression qu'étant donné que les moyens de la vie changent de jour en jour, et que ceux qui sont imparfaits sont remplacés par de plus perfectionnés, et puisque la science et l'industrie progressent constamment, par conséquent tous les changements dans la vie humaine forment une sorte de progrès et d'avancée, et sont de ce fait les bienvenus. Bien plus, ils pensent que de tels changements sont inévitables et doivent intervenir nécessairement un jour ou l'autre.
En réalité tous les changements ne sont ni le résultat direct du progrès de la science et de l'industrie, ni inévitables. Car alors que la science progresse, la nature rebelle de l'homme ne reste pas inactive. La science et la raison poussent l'homme vers la perfection, alors que la nature humaine rebelle l'attire vers la perversion et la déviation. Car les désirs naturels de l'homme s'efforcent de se servir de la science pour mieux assouvir la volupté humaine. Ainsi, tout en étant réceptive au progrès et à la perfection, l'époque est tout aussi réceptive à la perversion et à la déviation. Nous devons donc progresser avec l'évolution du temps, mais tout en combattant la corruption. Les réformateurs et les réactionnaires luttent tous les deux contre le temps, à cette différence près que les premiers se battent contre la perversion de l'époque, et que les réactionnaires combattent contre son progrès. Si nous considérons le temps (l'époque) et ses changements comme le critère de tout le bien et de tout le mal, quel est alors le critère de jugement du temps lui-même ? Si tout doit se conformer au temps, à quoi le temps lui-même doit-il se conformer ? Si l'homme doit suivre les bras croisés le temps et ses changements, que restera-t-il alors du rôle constructif et créatif de la volonté humaine ? L'homme est embarqué sur le véhicule du temps, qui est en mouvement. Il ne doit pas oublier ou négliger de guider et de contrôler son véhicule. Autrement, il serait pareil à une personne montée sur un cheval et qui se laisse guider par la volonté du cheval.
Adaptation ou abrogation ?
Le second point qui mérite d'être noté ici, est le fait que certains ont résolu le problème de "l'Islam et les exigences de l'époque" d'une façon simpliste. Ils disent que l'Islam est une religion éternelle et peut s'adapter à toute époque. Mais lorsqu'on leur demande comment cette adaptation se fait et quelle est sa méthode, ils répondent que lorsqu'on constatera que l'époque aura changé, on abolira sur-le-champ les anciennes lois pour les remplacer par de nouvelles ! Ils arguent que les lois temporelles de la religion doivent être flexibles et en harmonie avec le progrès de la science et de la connaissance, et l'épanouissement de la culture et de la civilisation. D'après eux, une telle flexibilité et une telle adaptabilité aux exigences de l'époque sont conformes à l'esprit de l'Islam et ne s'opposent nullement à ses enseignements. Ils disent qu'étant donné que les exigences de l'époque sont toujours changeantes, chaque époque commande donc une nouvelle série de lois. En outre, ils affirment que les lois civiles et sociales de l'Islam sont conformes à la vie simple des Arabes du pré-islam, et fondées dans la plupart des cas, sur leurs circonstances et usages. Et comme elles ne sont pas compatibles avec l'époque actuelle, elles devraient être remplacées par des lois modernes.
On doit demander à ces gens : si adaptation signifie aptitude à être abrogé, quelle loi donc n'a-t-elle pas ce type de flexibilité ? Et quelle loi ne s'adapte-t-elle pas à l'esprit de l'époque, dans ce sens ?
Cette interprétation de la flexibilité et de l'applicabilité à toutes époques équivaut exactement au raisonnement de quelqu'un qui dirait que "le livre et la librairie sont le meilleur moyen de jouir de la vie", et qui, lorsqu'il est sommé de s'expliquer sur cet énoncé, répond : «Car on peut vendre les livres à des prix bas, lorsqu'on veut se divertir, et dépenser l'argent ainsi obtenu dans la satisfaction de ses désirs et passions.»
Un écrivain iranien dit que les enseignements de l'Islam sont divisés en trois parties : la première partie consiste en des croyances fondamentales, telles que l'Unité Divine, la Prophétie, la Résurrection, etc. La seconde partie est relative aux actes d'adoration tels que la Prière, le Jeûne, l'ablution, le lavage rituel, le pèlerinage, etc. La troisième partie comprend les lois relatives à la vie des gens.
Selon lui : «Seules les deux premières parties font partie intégrante de la religion et sont à préserver pour toujours. Quant à la troisième partie, elle ne fait pas partie intégrante de la religion, car celle-ci n'est pas concernée par le mode de vie quotidienne des gens. Le Prophète lui-même n'a pas prescrit ces lois comme faisant partie de la religion, car elles ne font pas partie de sa mission prophétique. C'est à peu près par hasard, en sa qualité de chef d'Etat, qu'il a été amené à promulguer certaines lois régissant la vie des gens. Autrement, la religion n'a rien à voir avec la vie mondaine des gens.»
Il est difficile d'imaginer qu'une personne vivant dans un pays musulman puisse être si ignorante des préceptes de l'Islam !
Le Coran n'a-t-il pas décrit les objectifs des Prophètes ? Ne dit-il pas formellement : «Nous avons envoyé nos Messagers avec une preuve claire, et Nous avons fait descendre avec eux le Livre et la Balance afin que les gens établissent la justice.» (Sourate al-Hadîd, 57 : 25) En fait, il décrit la justice sociale comme étant le principal but de tous les Prophètes.
Nous disons à des gens comme cet écrivain iranien : vous n'êtes pas obligés de vous conduire conformément aux enseignements du Coran, mais pourquoi commettez-vous un péché encore plus grave en calomniant l'Islam et le Coran ? La plupart de nos malheurs sont dus au fait que nos murs et nos lois ont perdu leur seule source de force, à savoir la religion.
C'est seulement depuis un demi-siècle que nous entendons crier que l'Islam, c'est bon à condition qu'il reste confiné à la pratique de l'adoration et qu'il ne se mêle pas des affaires de la société. Ce cri est venu de l'extérieur des frontières de la nation musulmane, et on l'a fait propager dans tous les pays musulmans.
A vrai dire, ce cri est porteur d'un message à déchiffrer et dont le contenu est le suivant : «L'Islam doit être sauvegardé dans les limites où il constitue un obstacle devant le communisme, mais il doit disparaître dès lors qu'il porterait atteinte aux intérêts de l'Occident.» En d'autres termes, les enseignements islamiques relatifs au culte doivent survivre -d'après les Occidentaux- afin de s'en servir, le cas échéant, contre le communisme en tant que système athée. Quant aux enseignements islamiques sociaux qui constituent la philosophie de la vie des peuples musulmans et qui, lorsqu'ils sont suivis, confèrent à ces peuples une indépendance réelle et une personnalité distincte par rapport aux Occidentaux, indépendance et personnalité qui empêchent l'Occident de les assimiler et de les exploiter, ils doivent être enrayés.
Malheureusement pour les tenants de cette thèse, ils sont tombés dans un certain nombre d'erreurs :
1 - Tout d'abord, le Coran depuis 1400 ans a éliminé toute velléité de division des enseignements islamiques et la tendance à dire : «Nous croyons à certaines choses (certains des enseignements islamiques) et nous rejetons les autres», et a proclamé les règles de l'Islam comme étant indivisibles.
2 - Nous croyons ensuite qu'il est temps que les Musulmans ne se laissent plus duper par de tels slogans trompeurs. Le sens critique des gens s'est déjà plus ou moins éveillé et ils commencent peu à peu à distinguer les manifestations du progrès scientifique et les forces intellectuelles des manifestations de la corruption et de la perversion, même si elles proviennent de l'Occident.
Les peuples du monde musulman ont à présent plus que jamais conscience de la valeur des enseignements islamiques et se sont rendus compte qu'il leur suffit de les suivre et de s'y conformer pour mener une vie indépendante. Ils semblent s'y attacher tellement qu'ils n'y renonceront jamais.
Les Musulmans conscients savent que les désinformations dont font l'objet les lois islamiques ne sont qu'une duperie impérialiste.
3 - Troisièmement, les tenants de cette thèse doivent savoir que l'Islam est en mesure de faire face à tout système, athée ou non. Son idéal est de conduire la société en tant que philosophie de la vie, et ne veut nullement être confiné à la mosquée et aux autres lieux de culte. L'Islam qu'on veut cantonner aux mosquées, laisserait le champ libre non seulement à l'idéologie occidentale, mais également à des idéologies anti-occidentales. La preuve en est le prix élevé que paie l'Occident dans certains pays musulmans marxisants, à  cause de son erreur de calcul.
L'ISLAM ET LA VIE MODERNE II
L'homme n'est pas le seul être vivant qui mène une vie sociale. Beaucoup d'animaux, notamment les insectes, sont grégaires. Ils suivent des règles sensibles mais fixes de coopération, de division du travail, de production et de distribution, et ils donnent et reçoivent des ordres.
Les abeilles, certaines espèces de fourmis et de termites vivent selon des systèmes si superbes que l'homme, qui se considère comme étant le prince de la création, devrait mettre des années, ou même des siècles pour arriver à leur niveau.
Leur civilisation, contrairement à la civilisation humaine, n'a pas passé par des étapes d'évolution tels que l'âge de forêt, l'âge de pierre et l'âge atomique. Ils ont eu, dès le début, la même civilisation et le même système qu'ils ont de nos jours. C'est l'homme seulement qui a commencé sa vie à partir de zéro (voir Sourate al-Nisâ', 4 : 28 : «L'homme a été créé faible») et qui continuera ainsi jusqu'à l'infini.
Pour les animaux, les nécessités de la vie sont toujours les mêmes. la modernité et les nouvelles modes n'ont pas de sens pour eux. L'ancien monde et le nouveau monde n'existent pas pour eux. La science ne fait pas chaque jour une nouvelle découverte les concernant. Les plus récents produits de la lumière et des industries lourdes ne sont pas entrés dans leur marché. Pourquoi ? Parce qu'ils vivent par l'instinct et non par la raison.
Mais la vie sociale de l'homme est toujours sujette à changement. Chaque siècle le monde change. Et c'est là que réside le secret du fait que l'homme est considéré comme le prince de la création. L'homme est le fils mature et digne de la nature. Il est arrivé à un stade d'évolution où il n'a pas besoin de la guidance de cette force mystérieuse qu'est l'instinct.
La nature reconnaît que l'homme est mûr, et c'est pourquoi, elle le laisse libre. Ce qu'un animal accomplit par instinct et en suivant les lois inviolables de la nature, l'homme doit l'accomplir par son intellect et sa connaissance, et en suivant des lois décrétées et violables.
Etant le maître de son destin, l'homme peut toujours dévier de la voie du progrès, et c'est là que réside le secret de ses faux pas, de ses revers et de ses erreurs.
De même que la voie du progrès et de l'avancement lui est ouverte, de même la voie de la corruption, de la perversité et de l'échec l'est aussi.
L'homme a atteint un tel stade d'évolution que, selon les termes du Saint Coran, il peut prendre en charge la lourde responsabilité que les cieux, la terre et les montagnes n'ont pu porter. En d'autres termes, il peut mener une vie libre et accepter des responsabilités légales, professionnelles et autres. C'est la raison pour laquelle il n'est pas immunisé contre l'erreur, l'égoïsme, l'ignorance et l'injustice.
Là où le Coran évoque cette formidable capacité de l'homme, il souligne immédiatement son "injustice" et son "ignorance".
Ces deux capacités de l'homme : sa capacité d'évoluer et sa capacité de dévier sont inséparables. L'homme n'est pas pareil à l'animal qui, dans sa vie sociale, ne peut ni avancer ni reculer, ni tourner à gauche ni à droite. Dans sa vie, l'homme avance parfois et recule parfois. S'il y a dans la vie humaine mouvement et accélération, il y a aussi arrêt et pause. S'il y a progrès et évolution, il y a aussi corruption et déviation. S'il y a vertu et justice, il y a aussi agression et injustice. S'il y a manifestations de savoir et de sagesse, il y a également manifestations d'ignorance et de passion.
Et il est possible que les changements qui interviennent et les phénomènes qui apparaissent à chaque étape soient de la dernière catégorie (passion, injustice, déviation, etc.).
Les Esprits rigides et les Ignorants
L'homme fait parfois trop de choses, et parfois pas assez. S'il veut adopter une attitude intermédiaire, il doit s'efforcer de distinguer les changements de la première catégorie et les changements de la seconde catégorie. Il doit s'efforcer de faire évoluer l'époque par la force de la science, l'invention, l'effort et le travail. Il doit s'efforcer de s'adapter aux aspects du développement et du progrès de son époque. Il doit aussi s'efforcer d'empêcher l'avènement de déviations liées à l'époque et d'éviter de s'y engager.
Mais, malheureusement, l'homme n'adopte pas toujours cette attitude. Il est sujet à tomber dans deux fléaux dangereux : la maladie de la rigidité et la maladie de l'ignorance. Le premier mal conduit à la stagnation et au refus du progrès, le second, à la perversité et à la ruine.
Un esprit rigide a de l'aversion pour tout ce qui est nouveau et ne peut se réconcilier avec rien qui ne soit ancien. D'un autre côté un ignorant considère tout ce qui est nouveau comme étant moderne et progressiste, comme étant une exigence de l'époque. Pour un esprit rigide, tout nouveau développement signifie corruption et perversité, alors que pour l'ignorant, tous les nouveaux développements signifient indistinctement expansion de la culture et de la connaissance.
Les gens rigides ne distinguent pas la coque du grain, la fin et les moyens. A leur avis le devoir de la religion est de préserver tout ce qui est désuet et suranné. Ils pensent que le Coran est descendu pour arrêter la marche de l'histoire et fixer les conditions du monde au stade où elles se trouvaient.
Dans leur optique, les vieilles coutumes dépassées, telles que l'habitude de commencer la lecture par la dernière partie du Coran, d'écrire avec un roseau, d'utiliser un étui à stylo fait de carton, de se laver dans le bain turc à l'ancienne, de manger avec les mains, s'éclairer avec une lampe à pétrole, et de vivre dans l'ignorance et l'analphabétisme, constituent des rites religieux qu'il faut préserver. A l'opposé, les ignorants ont les yeux fixés sur le monde occidental afin de pouvoir imiter toute nouvelle mode et toute nouvelle coutume, et ils appellent cela modernité et exigence de l'époque.
L'esprit rigide et l'ignorant supposent tous les deux que les anciens usages et coutumes font partie des rites de la religion, mais à cette différence près que le premier veut les préserver alors que le second (l'ignorant) croit que la religion est essentiellement concomitante du culte de l'ancien et de la tendance à la stagnation et à l'inertie.
Au cours des quelques derniers siècles, la question de la contradiction entre la religion et la science a fait l'objet de beaucoup de débats en Occident. L'idée de la contradiction est née de deux développements :
1 - Tout d'abord l'Eglise avait adopté quelques notions philosophiques et scientifiques anciennes, comme étant des croyances religieuses qu'il fallait accepter, mais ces notions se sont avérées fausses grâce au progrès de la science.
2 - Ensuite, le fait que la science a changé le visage et les conditions de la vie.
De la même façon qu'ils ont donné une coloration religieuse à certaines questions philosophiques, les religieux rigides ont essayé de faire appartenir à la religion la forme matérielle extérieure de la vie, ce qui a conduit les ignorants à croire que les choses sont effectivement ainsi, et que la religion avait adopté une conception matérielle de la vie pour les gens. Or, étant donné que la forme matérielle de la vie doit -selon la science- changer, la science a décrété l'abolition de la religion.
La rigidité des uns et l'ignorance des autres ont engendré l'idée fictive de la contradiction entre la science et la religion.
Une parabole du Coran
L'Islam est une religion progressiste, et il veut que ses adeptes soient progressistes eux aussi. Le Noble Coran a recouru à une parabole pour persuader les Musulmans de continuer de marcher en avant sous la lumière de l'Islam. Il dit que les adeptes de Mohammad sont comme un grain semé dans le sol. Il fait d'abord sortir sa pousse, puis il devient robuste, il grossit, il se dresse sur sa tige. Il grossit si rapidement que les semeurs sont saisis d'admiration.
C'est là une analogie avec la société que le Coran vise. Ce que le Coran désire, c'est le développement. Il veut poser la fondation d'une société qui s'épanouit, se développe et s'étend continuellement.
Will Durant écrit qu'aucune religion n'a invité ses adeptes à se renforcer, comme l'a fait l'Islam. L'histoire de la première période de l'Islam montre combien l'Islam a pu reconstruire une société et la pousser en avant.
L'Islam est à la fois contre la rigidité et l'ignorance et les considère toutes deux dangereuses. La stérilité intellectuelle de l'esprit rigide, et son inclination aux vieilles coutumes qui n'ont rien à voir avec l'Islam authentique, ont fourni à l'ignorant un prétexte pour considérer l'Islam comme étant réellement opposé à la modernité. D'autre part, le fait que l'ignorant suive et adopte les dernières modes et façons de l'Occident, et croie que la prospérité des peuples orientaux dépend de leur occidentalisation complète aussi bien sur le plan matériel que spirituel, de leur acceptation des habitudes, des manières et des traditions de l'Occident, et de l'adoption aveugle de lois civiles et sociales semblables à celles des nations occidentales, tout ceci a fourni à l'esprit rigide le prétexte de regarder tout ce qui est nouveau avec suspicion, et à le considérer comme une menace pour sa religion, son indépendance et la personnalité sociale de sa communauté.
Entre-temps, c'est l'Islam qui doit payer le prix de l'erreur de ces deux catégories qui ont une fausse conception de la religion.
La rigidité de l'esprit rigide a laissé le champ libre à l'ignorant pour tout saccager, et l'ignorance de l'ignorant a rendu l'esprit rigide plus obstiné dans ses croyances.
Il est surprenant que ceux qui se disent cultivés, mais qui sont en réalité des ignorants, pensent que le temps est infaillible. La vérité est que tous les changements sont opérés par l'homme, et l'homme, lui, n'est pas du tout infaillible. Dès lors, comment peut-on présumer que les changements de l'époque doivent être nécessairement à l'abri de l'erreur.
De même que l'homme a des inclinations scientifique, morale, esthétique et religieuse, et qu'il prend constamment de nouvelles mesures pour le bénéfice de l'humanité, de même il a aussi certaines tendances négatives. Il est égoïste, avide de pouvoir et de plaisirs. Il aime l'argent et l'exploitation. S'il est capable de faire de nouvelles découvertes et de trouver de meilleurs moyens pour satisfaire ses besoins, il est susceptible aussi de commettre des fautes. Mais les gens mal guidés et mal informés ne comprennent pas cela. Ils récitent toujours la même litanie sur le même ton, en répétant que le monde moderne est ceci et cela.
Ce qui est encore plus surprenant, c'est qu'ils comparent les principes de la vie à des objets tels que les souliers, le chapeau et le vêtement. Comme ces objets sont recherchés lorsqu'ils sont neufs, et jetés lorsqu'ils sont usés et déchirés, il en va de même, selon eux, pour les vérités universelles. Pour eux, le bien et le mal n'ont d'autre sens que le nouveau et l'ancien. Le féodalisme est mauvais parce qu'il est tout simplement devenu ancien et sorti de la mode. Autrement, il était tout à fait bien lorsqu'il fut introduit pour la première fois dans le monde.
D'une façon similaire, l'exploitation de la femme est une mauvaise chose, seulement parce qu'elle est détestée par le monde moderne ; autrement, ces mêmes gens qui combattent aujourd'hui cette exploitation, refusaient jusqu'à une date récente d'accorder aux femmes leur part dans l'héritage. Ils ne reconnaissaient pas à la femme le droit à la propriété, ni ne respectaient sa volonté et ses opinions.
Selon ces gens, notre ère étant l'ère de l'espace, pendant laquelle il n'est plus possible de monter sur un âne et de ne pas prendre l'avion, d'utiliser une lampe à pétrole au détriment de l'électricité, de tisser avec la main au lieu d'installer de grandes usines textiles, d'écrire à la main au lieu de faire appel aux formidables appareils d'imprimerie, de la même façon il n'est pas possible de ne pas participer aux soirées dansantes, aux réunions de nudisme, aux réceptions mondaines luxueuses, ni d'éviter le bavardage autour d'un verre d'alcool, les jeux de hasard, le port de vêtements courts à la mode, car tout ceci constitue des signes de modernité auxquels il faut souscrire sous peine de revenir à l'âge de l'âne.
Ils prétendent que telle est l'ère atomique, l'ère de la science, l'ère du satellite et des missiles balistiques. C'est très bien ! Nous aussi, nous remercions Allah de nous faire vivre à cette époque, et nous souhaitons pouvoir jouir au maximum des avantages de la science et de l'industrie. Mais hormis la source de la science, toutes les autres sources ont-elles tari vraiment à notre époque ? Est-ce que tous les phénomènes de notre siècle sont le produit du progrès scientifique moderne ? La science prétend-elle contrôler totalement la nature ? Non, la science n'a pas une telle prétention. Le drame de notre siècle réside en ceci qu'un groupe de scientifiques essaient, avec une bonne intention, de faire de nouvelles découvertes intéressantes, alors qu'un autre groupe de gens égoïstes, avides de pouvoir et d'argent, opportunistes, font mauvais usage du fruit des efforts des scientifiques, afin de parvenir à leurs buts douteux. La science se plaint constamment d'être mal utilisée par l'obstination de la nature humaine rebelle, et c'est là le malheur de notre époque.
La science fait des progrès dans le domaine de la physique et de la découverte des lois de la lumière, mais une bande d'opportunistes exploitent ce progrès scientifique pour faire des films qui ne débouchent que sur la destruction du tissu familial. Les chimistes font des progrès et découvrent les propriétés des diverses substances et leurs combinaisons, mais quelques individus exploitent ces découvertes pour fabriquer de l'héroïne qui constitue une destruction de l'homme. La science fraie son chemin vers le cur de l'atome, et découvre une merveilleuse source d'énergie, mais avant de pouvoir mettre cette source d'énergie au service de l'humanité, les gens avides du pouvoir accourent pour transformer ce progrès scientifique en une bombe atomique qu'ils lancent sur un peuple innocent.
Lorsqu'on organisa une réception en l'honneur d'Einstein, le plus grand scientifique du 20e siècle, le savant monta sur la tribune et dit : «Honorez-vous l'homme qui a servi d'instrument pour la fabrication de la bombe atomique ?»
Einstein n'a pas utilisé lui-même son savoir pour fabriquer la bombe atomique, ce sont les autres qui se sont servis de ses découvertes pour mettre au point cet engin de destruction.
L'utilisation de l'héroïne, de la bombe atomique et des films de violence et de pornographie ne peut pas être justifiée sous le prétexte qu'ils constituent les phénomènes du 20e siècle.
Si les derniers types de bombardiers sont utilisés pour lancer les bombes les plus perfectionnées sur les peuples d'autres nations, et que les gens les plus instruits sont employés pour accomplir cette mission destructive, le fait d'avoir recours à ces moyens modernes enlève-t-il à celle-ci son caractère barbare ? Non, tout ce qui est moderne n'est pas forcément progrès humain.
L'Islam et la Modernité (III)
Le principal argument de ceux qui disent qu'en matière des droits familiaux nous devons suivre le système occidental, est que les temps ont changé et que les exigences du 20e siècle veulent que nous soyons ainsi. Là-dessus, nous proposons de clarifier tout d'abord nos points de vue sur cette question, sans cela la discussion de tout autre point serait incomplète, bien que le contexte de notre sujet ne nous permette pas d'aborder la question sous tous ses angles : philosophique, juridique, social et moral. Pour le moment, il suffit de mettre au clair deux points :
1 - La nature du changement :
L'adaptation aux changements de l'époque n'est pas une question aussi simple que le laissent entendre certains ignorants. Les changements opérés par le temps sont parfois progressifs et parfois régressifs. Nous devons donc marcher en avant avec les changements progressifs, et combattre les tendances rétrogrades. Pour pouvoir distinguer, l'une de l'autre, ces deux sortes de changement, et déterminer leur nature respective, nous devons découvrir la source des nouveaux développements et leur direction. Nous devons voir quelles sont les tendances humaines qui les ont opérés, et quelle classe sociale se trouve derrière eux. Nous devons déterminer s'ils sont motivés par une tendance humaine sublime, ou par de basses propensions bestiales, et savoir s'ils sont venus à l'existence à la suite de recherches de savants et d'intellectuels désintéressés, ou comme le résultat des bas désirs d'éléments corrompus et égoïstes de la société.
2 - Le Secret de la flexibilité des lois islamiques :
Le second point qu'il faut éclaircir, est le fait que les penseurs musulmans croient que l'Islam possède certaines potentialités qui le rendent applicable à toutes les époques. Selon ces penseurs, les enseignements islamiques sont en parfaite harmonie avec le progrès de l'histoire, l'expansion de la culture et les changements qui en résultent. Voyons maintenant quelle est la nature des potentialités que possède l'Islam, ou en d'autres termes quels sont les dispositifs mis dans la structure de cette religion pour la rendre adaptable à tous les changements de situation, sans avoir besoin d'abandonner aucun de ses enseignements, et sans qu'il y ait aucun conflit entre ses enseignements et les situations nouvelles résultant de l'expansion de la connaissance et du développement de la civilisation.
Bien que cette question comporte un aspect technique qui nécessiterait certaines mises au point et un long développement, nous essaierons de l'aborder brièvement afin de dissiper l'incompréhension de ceux qui doutent que l'Islam possède une telle capacité d'adaptation (pour avoir plus de détails sur ce sujet, le lecteur peut se référer à "Tanbîh al-Ummah", de l'Ayatollâh al-Nâ'inî ou à "Marja'iyyat wa Imamat" d'al-'Allâmah al-Tabâtabâ'î -en persan).
Il y a de nombreux facteurs qui constituent les motifs de l'adaptabilité de l'Islam au développement de la connaissance et de la civilisation, et l'applicabilité de ses lois à la variation des circonstances de la vie. Nous en mentionnons quelques-uns seulement, ci-après :
L'Insistance sur le Fond et l'indifférence à la forme
L'Islam n'a pas traité de la forme extérieure de la vie, laquelle forme dépend du degré du développement de la connaissance humaine. Les enseignements islamiques ont trait seulement à l'esprit et aux buts de la vie, et ils déterminent le meilleur moyen d'atteindre ces buts. La science n'a ni changé l'esprit et les buts de la vie, ni suggéré une voie meilleure, plus courte et plus sûre pour les atteindre. Elle a seulement fourni un meilleur moyen de traverser la route qui conduit à ces buts.
En s'intéressant seulement aux finalités de la vie, et en laissant la forme et les moyens aux bons soins de la science et de la technologie, l'Islam a évité tout heurt avec la culture et la civilisation. En outre, en encourageant les facteurs qui contribuent à l'expansion de la civilisation, en l'occurrence la connaissance, le travail, la piété, la volonté, le courage et la persévérance, il a joué le rôle du principal facteur uvrant en vue de l'expansion de la civilisation.
L'Islam a posé des panneaux de signalisation tout au long de la route du progrès humain. Ces panneaux indiquent d'une part la route et la destination, et d'autre part mettent en garde contre la présence de fossés et d'endroits dangereux. Toutes les lois islamiques sont des panneaux, soit de la première, soit de la seconde catégorie.
Les moyens de la vie dépendent à chaque époque du degré de la somme totale de la connaissance humaine. Et étant donné que la connaissance humaine est en expansion, des moyens de vie plus perfectionnés viennent à l'existence pour prendre automatiquement la place des moyens moins perfectionnés.
Les formes extérieures et matérielles de ces moyens n'ont aucun caractère sacré en Islam, et les Musulmans ne sont pas tenus de les préserver. L'Islam n'a pas dit que la couture, le tissage, l'agriculture, les transports ou les guerres, etc. doivent être faits avec tel ou tel autre outil, pour qu'il surgisse un litige ou un conflit entre la science et la loi islamique, une fois ledit outil tombé en désuétude à cause du progrès scientifique. L'Islam n'a pas prescrit des modèles spécifiques pour les chaussures et les vêtements, ni un mode de construction spécial, ni des outils particuliers de production et de distribution. Et c'est là un des facteurs de son applicabilité à tous les développements de l'époque.
Des lois fixes pour des besoins immuables, et des lois variables pour des besoins changeants
Le deuxième facteur qui explique l'adaptabilité des enseignements islamiques à toutes les époques, et qui a une grande importance, est le fait que l'Islam a envisagé des lois fixes pour les besoins humains immuables et des lois modifiables pour les besoins humains changeables, car une partie des besoins humains, individuels ou collectifs, sont de nature constante, et ils restent les mêmes à toutes les époques, et par conséquent le système qui doit régir les instincts humains et gouverner la société humaine est le même en tous temps(1). Et une autre partie des besoins humains sont de nature variable, et exigent par conséquent des lois variables. L'Islam a prévu de tels besoins changeants, et les a liés à certains principes fixes qui permettent d'instituer une disposition de loi particulière à chaque situation changeante.
Notre exposé ne nous permet pas de nous engager dans de longs développements pour expliquer avec plus de détails cette question, et nous nous contenterons ici de citer quelques exemples révélateurs à cet égard. Ainsi, il y a en Islam un principe social que traduit le Verset coranique suivant : «Préparez-leur tout ce que vous pouvez de force...» (Sourate al-Anfâl, 8 : 60). De même il y a de nombreuses traditions du Prophète qu'on appelle en jurisprudence "la cavalerie et le tir à l'arc" qui invitent les Musulmans à s'entraîner en vue de se défendre. Le Prophète a, en effet, ordonné que les Musulmans apprennent l'art de la cavalerie et du tir à l'arc et les enseignent à leurs enfants. Ces arts faisaient partie de la science militaire d'autrefois. Il est évident que l'ordre essentiel est de "préparer une force". L'arc et la flèche, l'épée et la lance, le mulet et le cheval n'ont pas d'importance. Ce qui importe, c'est d'être militairement fort devant l'ennemi. Acquérir une habileté en cavalerie et en tir à l'arc n'est qu'une forme de l'acquisition de force militaire, ou un moyen d'exécution de l'ordre essentiel. Préparer une force est une loi constante qui découle d'un besoin fixe et perpétuel, alors que l'apprentissage du tir à l'arc et de la cavalerie est la manifestation d'un besoin provisoire et changeant, qui varie d'une époque à l'autre, d'une circonstance à l'autre. Avec le changement des circonstances, l'apprentissage du maniement des armes à feu remplace celui de l'art du tir à l'arc.
Prenons un autre exemple, celui du principe social, mentionné dans le Coran, et concernant l'échange des richesses. L'Islam a reconnu le principe de la propriété individuelle. Toutefois, le droit à la propriété que l'Islam reconnaît est différent de ce qu'on voit dans le monde capitaliste. Ce qui caractérise la propriété individuelle, en Islam, c'est le principe de "l'échange". L'Islam a fixé de nombreuses règles à l'échange. L'une d'elles est énoncée dans le Coran en ces termes : «Ne mangez pas vos biens entre vous inutilement...» (Sourate al-Baqarah, 2 : 188), c'est-à-dire que dans les transactions et les affaires, l'argent ne doit pas passer d'une main à l'autre sans qu'il y ait un bénéfice légal qui a une valeur reconnue, car l'Islam n'admet pas la propriété comme équivalente à une autorité absolue sur le bien possédé.
Il est spécifié, dans la loi islamique, que la vente et l'achat de certaines choses, tels que le sang et l'excrément humains, sont interdits. La raison en est que de telles choses n'ont pas une valeur que l'on peut considérer comme faisant partie de la richesse humaine. Le principe qui se trouve à l'origine de cette interdiction est l'énoncé coranique qu'on vient de citer. L'invalidité de la vente et de l'achat du sang et de l'excrément humains n'est pas spécifiée dans un texte islamique ; elle est seulement l'une des applications d'un principe islamique qui pose comme condition de la validité d'un échange, l'utilité pour l'homme des choses échangées. Même s'il n'y a pas effectivement un échange, l'argent et le bien appartenant à un individu ne peuvent être appropriés par un autre sans qu'il y ait une utilité qui résulte de ce changement de propriétaire.
La loi interdisant l'appropriation de la propriété d'un autre inutilement est un principe ferme et applicable à toutes les époques, et découlant d'un besoin social permanent. Mais la règle selon laquelle le sang et l'excrément ne doivent pas être considérés comme une richesse et ne sont pas vendables, est liée à l'époque et au degré de civilisation. Elle est donc sujette à modification selon le changement des conditions, les progrès de la science et de l'industrie, et la possibilité d'une utilisation correcte et utile de ces matières.
Un autre exemple : l'Imam Ali (P) ne teignait jamais ses cheveux, même lorsqu'ils furent devenus tout blancs vers les dernières années de sa vie. Un jour, un homme lui dit :
Le Prophète n'a-t-il pas ordonné de teindre les cheveux blancs ?
L'Imam Ali lui a répondu :
Si.
Pourquoi ne le fais-tu donc pas, l'interrogea l'homme ?
Ali dit :
A l'époque où le Prophète a donné cette instruction, le nombre des Musulmans était insignifiant, et parmi eux figuraient beaucoup d'hommes âgés qui participaient aux batailles. Le Prophète (P) leur a donc ordonné de teindre leurs cheveux pour cacher leur âge, car si l'ennemi avait pu voir qu'il avait affaire à une poignée de vieillards, son moral en aurait été remonté. Mais depuis que l'Islam s'est répandu dans le monde entier, la situation a changé. C'est pourquoi, chacun est libre de teindre ou non ses cheveux.
Dans l'optique de l'Imam Ali, l'instruction du Prophète, à ce sujet, n'était pas une loi fondamentale et permanente, mais seulement l'une des applications d'une loi qui stipulait que «rien qui puisse remonter le moral de l'ennemi ne doit être fait».
On peut dire que l'Islam, de même qu'il attache de l'importance à l'esprit et au fond, attache de l'importance à la forme et à l'aspect extérieur. Mais s'il attache de l'importance à l'aspect extérieur des choses, c'est uniquement par souci de servir le fond.
La Question du changement de l'alphabet
Une polémique a été engagée récemment en Iran à propos du changement de l'alphabet. Cette question peut être regardée sous deux angles du point de vue des principes de l'Islam. En effet, d'un point de vue islamique, elle peut revêtir deux formes. La première forme de la question est de savoir si l'Islam favorise un alphabet particulier et rejette les autres. Considère-t-il l'alphabet en cours, dit l'alphabet arabe, comme son propre alphabet, et les autres, tel le latin, comme lui étant étrangers ? L'Islam, qui est une religion universelle, regarde tous les alphabets du monde d'une façon égale.
La seconde forme de la question est de savoir dans quelle mesure le changement de l'alphabet contribuerait à la fusion culturelle de la nation musulmane dans les autres nations, et quelle serait la conséquence de cette fusion sur la culture de la nation musulmane ? Après tout, pendant les 14 siècles écoulés, la littérature islamique et scientifique produite par l'Iran a été écrite avec l'alphabet actuel, l'arabe. En changeant d'alphabet, n'allons-nous pas couper tous liens avec cette littérature ? Une autre question se pose ici : qui a proposé un plan de changement de l'alphabet, et qui va l'appliquer ? C'est ce dont nous devons traiter maintenant.
Ce qui est interdit, ce n'est pas le port d'un chapeau, mais la dépendance des autres
Des gens comme moi sont souvent confrontés à des questions qu'on leur pose avec mépris et sarcasme, telles que : «Que dit la loi islamique à propos du fait de manger debout ?» «Et que dit-elle à propos du fait de manger avec une cuillère et une fourchette ?» «Le port du chapeau européen est-il interdit ?» «Est-il interdit de parler une langue étrangère ?»
Pour répondre à ces interrogations, nous disons : l'Islam n'a donné aucune instruction particulière à cet égard. L'Islam n'a pas ordonné à ses adeptes de manger avec la main ou avec une cuillère. Il leur a ordonné seulement d'être propres. L'Islam n'a prescrit aucun modèle particulier de chaussure, de chapeau ou de vêtement. Du point de vue islamique l'anglais, le japonais et le persan ont tous le même statut.
Toutefois, l'Islam a ordonné autre chose. Il a dit qu'il est interdit de perdre son identité, de se soumettre aux autres, de suivre les autres aveuglément, d'être assimilé par les autres, d'être dépendant des autres, d'être ensorcelé par les autres, de considérer un âne étranger mort une mule, d'importer l'immoralité et la perversité des autres au nom du phénomène du 20e siècle, de croire que les Musulmans doivent être occidentalisés extérieurement et intérieurement, physiquement et spirituellement, de prononcer le "r" se trouvant dans nos propres mots à la façon parisienne après avoir passé deux ou trois jours en France.
Ce qui est important et ce qui est plus important
Un autre facteur qui rend l'Islam compatible avec les exigences variables de l'époque, est la conformité de ses enseignements à la raison. L'Islam a proclamé que ses lois sont fondées sur une série d'intérêts supérieurs. En même temps, il a déterminé le degré d'importance de ces intérêts, ce qui a facilité la tâche des juristes dans les domaines où différents intérêts se trouvent en opposition les uns avec les autres.
Dans un tel cas où les intérêts se trouvent opposés, l'Islam a autorisé les juristes musulmans à peser l'importance relative de chaque intérêt par rapport aux autres, en ne perdant pas de vue les critères que l'Islam lui-même a mis pour permettre de déterminer les intérêts les plus importants. La jurisprudence musulmane appelle cette règle la question de "l'important et le plus important". Il y a beaucoup d'exemples de l'application de cette règle. Mais les impératifs de notre exposé ne nous permettent d'en traiter ici.
Les lois qui ont le droit de veto
Un autre facteur qui fait de l'Islam une religion mobile et applicable aux diverses circonstances, et par conséquent, vivante et éternelle, c'est le fait qu'il renferme une série de lois dont l'objectif est de contrôler et de modifier les autres lois. Ces lois, en langage juridique "les règles gouvernantes", telles que la règle de "pas de nuisance"(2), et celle de "pas d'embarras"(3), gouvernent toute la jurisprudence. En réalité l'Islam a conféré à ces règles le droit de veto contre toutes les autres lois et instructions.
Les Compétences du Gouvernant
En plus de tout ce qui vient d'être mentionné, l'Islam possède une série d'autres règles et de critères qui ont fait de cette religion la religion finale et éternelle. L'Ayatollâh al-Nâ'inî et al 'Allâmah al-Tabâtabâ'î ont beaucoup compté, dans ce domaine, sur les nombreux pouvoirs que l'Islam a délégués à un bon gouvernement islamique.
Le Principe de l'Ijtihâd
Le philosophe et poète pakistanais, Mohammad Iqbâl dit que "l'Ijtihâd" (la déduction des lois à partir de leurs sources originelles) est la force motrice de l'Islam. Et il a parfaitement raison. Mais ce qui est plus important, c'est que l'Islam a la particularité et la capacité de contenir l'ijtihâd. Aucune autre religion n'a cette qualité et cette capacité. La structure de l'Islam a été bâtie de telle sorte que cette religion puisse, avec l'aide de l'ijtihâd, s'adapter toujours au progrès continuel de la civilisation.
Dans son "Chifâ'", Avicenne fonde la nécessité de l'ijtihâd sur ce même principe du changement constant des besoins. Il dit : «Etant donné que, d'une part, les conditions de la vie sont changeantes, et que de nouveaux problèmes surgissent constamment, et que, d'autre part, les principes généraux de l'Islam sont fixes, il est nécessaire qu'il y ait, à toutes les époques, des savants qui ont une parfaite connaissance des lois islamiques et qui se chargent de prendre en considération les situations nouvelles qui surviennent, afin de pouvoir satisfaire les besoins des Musulmans.»
La constitution de l'Iran prévoit la présence à chaque époque d'un organisme composé d'au moins cinq Mujtahid (des savants éminents en théologie, capables de pratiquer l'ijtihâd) connaissant parfaitement les exigences de l'époque, et chargés de superviser les lois. L'idée de la présence d'un tel organisme, composé de gens qui ne soient ni rigides, ni opposés aux développements modernes, ni ignorants, ni imitateurs aveugles d'autrui, a pour motif la surveillance des activités législatives du pays.
Il est notable que l'ijtihâd, au sens réel du terme, signifie une spécialisation poussée, et nécessite une aptitude à la déduction des lois, un esprit de synthèse, une connaissance profonde et parfaite des fondements de l'Islam et des principes de la jurisprudence, ce qui n'est pas à la portée de n'importe quel théologien qui passe quelques années à l'Académie islamique.
Il ne fait pas de doute que la spécialisation dans le domaine de l'ijtihâd exige l'effort de toute une vie, et si la vie entière d'un homme n'est pas trop courte pour permettre d'atteindre le degré de l'ijtihâd, elle n'est pas trop longue non plus pour une telle tâche. En outre, à part le temps consacré à cette spécialisation, il faut compter sur l'Aide divine, une aptitude particulière, et une disposition spéciale.
A part la spécialisation et l'ijtihâd, certaines personnes peuvent acquérir une connaissance si large que leurs vues peuvent être considérées comme faisant autorité, si elles ont atteint en même temps un haut degré de connaissance d'Allah et de crainte révérencielle. En effet l'histoire de l'Islam nous a montré des gens qui, malgré leur vaste connaissance et leur haute moralité, tremblaient de peur lorsqu'ils voulaient exprimer leurs opinions sur certains points de la loi islamique.
Notes
1-Certes il y a la question de la relativité de la morale et de la relativité de la justice qui a ses partisans, et dont nous sommes conscient. Mais nous expliquerons notre point de vue sur cette question plus loin, en prenant en considération les vues de ses partisans.
2-Lâ dharara wa lâ dhirâr
3-Lâ haraj

Ajouter un commentaire