Eclaircissements sur le Christianisme moderne et ses rapports avec l’Islam

L’esprit du Christianisme a connu une révolution, non pas depuis la Renaissance, comme on le dit précipitamment, laquelle vit le triomphe –l’Art romain et italien en témoigne, sculptural, architectural et pictural- de la Papauté ; et la réaction de l’Allemagne ou du Nord de l’Europe, devenue le protestantisme, accommodée ensuite à l’art resplendissant du Baroque, se redressant dans la Grande musique polyphonique religieuse de Bach est son équivalent ; mais une profonde mutation s’est accomplie insensiblement, après la Révolution française dans tout le Christianisme occidental: le Pape actuel des Catholiques , par ailleurs vigilant contre les atteintes à la morale et au sacrement du mariage, par exemple, exprime cette nouvelle face du Christianisme dans ses rapports avec l’Etat, et les autres religions monothéistes : le judaïsme est ainsi présenté comme un ancêtre, naguère un frère, maintenant un père de la foi chrétienne ; alors que la tradition des siècles a fait revendiquer aux Chrétiens le titre de Juifs véritables, selon l’expression de l’Evangile de Jean, ceux qui restaient fidèles à l’enseignement des Prophètes, de Moïse, que Jésus avait non pas modifié, mais complété, éclairé, notamment en précisant –chose capitale- l’immortalité de l’âme. Leibniz –que nous aimons à citer, car il fut un excellent littérateur en notre langue et chrétien évangélique, comme la plupart des philosophes d’Allemagne-souligne ce point dans la préface à sa magnifique Théodicée, discours sur la justice de Dieu, Essai sur la bonté de Dieu, la liberté de l’homme et l’origine du mal (posthume en 1710) :

« Cependant Moïse n'avait point fait entrer dans ses lois la doctrine de l'immortalité des âmes: elle était conforme à ses sentiments, elle s'enseignait de main en main, mais elle n'était point autorisée d'une manière populaire; jusqu'à ce que Jésus-Christ leva le voile, et sans avoir la force en main, enseigna avec toute la force d'un législateur que les âmes immortelles passent dans une autre vie, où elles doivent recevoir le salaire de leurs actions. »

« Moïse avait déjà donné les belles idées de la grandeur et de la bonté de Dieu, dont beaucoup de nations civilisées conviennent aujourd'hui: mais Jésus Christ en établissait toutes les conséquences, et il faisait voir que la bonté et la justice divines éclatent parfaitement dans ce que Dieu prépare aux âmes. Je n'entre point ici dans les autres points de la doctrine chrétienne, et je fais seulement voir comment Jésus-Christ acheva de faire passer la religion naturelle en loi, et de lui donner l'autorité d'un dogme public. »

« Il fit lui seul ce que tant de philosophes avaient en vain tâché de faire; et les chrétiens ayant enfin eu le dessus dans l'empire romain, maître de la meilleure partie de la terre connue, la religion des sages devint celle des peuples.

« Mahomet, depuis, ne s'écarta point de ces grands dogmes de la théologie naturelle: ses sectateurs les répandirent même parmi les nations les plus reculées de l'Asie et de l'Afrique où le christianisme n'avait point été porté; et ils abolirent en bien des pays les superstitions païennes, contraires à la véritable doctrine de l'unité de Dieu, et de l'immortalité des âmes. »

Or cette perspective chrétienne énoncée par Leibniz et la considération de l’excellence et de la droiture du Prophète s’est modifiée. L’Eglise a cédé, du moins en Occident, non en Orient russe et grec, le titre de Juif au sens positif, à la partie du Judaïsme qui restait fermée à l’enseignement de Jésus, donc aveugle à ses propres prophètes, et dont la majorité, sauf exceptions héroïques ,a versé dans l’illusion matérielle du Sionisme, plantant le drapeau de l’entité dans la plupart des lieux de culte ; c’est ce que montre le bandeau qui est sur la jeune femme représentant la synagogue, sur la cathédrale de Strasbourg . Elle a la sveltesse, l’ovale du visage des filles du Rhin, et leur grâce, mais reste volontairement aveugle, en refusant de défaire son bandeau.

La vraie religion juive perpétuée était donc, pour l’Eglise, son propre enseignement évangélique. Et elle tenait les Juifs qui la refusaient pour des exilés volontaires, auxquels elle offrait de rentrer, comme le fils prodigue de l’Evangile, en son sein. C’est pourquoi l’Eglise catholique, en premier, a reçu de nombreux Juifs y compris dans la papauté, dont la famille Borgia venue d’Espagne, les premiers compagnons du fondateur de l’ordre des Jésuites, des supérieurs de l’ordre des Dominicains, des Bénédictin etc.

Aujourd’hui cette prééminence chrétienne est abolie et comme laïcisée, les considérations de chronologie l’emportant sur l’attention à la révélation divine. Comme si le prophète Abraham avait respecté l’idolâtrie à cause de son ancienneté ; « nos ancêtres ne faisaient-ils pas de même ? »

Cela dit, le rapport avec l’Islam s’est durci, parce que l’Eglise a centré la révélation du monothéisme sur le judaïsme ancien et refusé de voir ce qu’elle avait de commun avec l’Islam, à savoir moralement l’essentiel, qui est l’admission de l’Evangile.

Pour donner une illustration politique de ceci, l’on peut visiter le palais du Sultan à Istanbul, et y voir la sympathie manifestée par les messages du pape Pie IX au Calife. Mais surtout retenir la réponse donnée le 26 janvier 1904 par l’illustre et de court règne, Pie X (1835-1914), né Autrichien en Italie du nord, et sanctifié, béatifié ou déclaré bienheureux au Ciel en 1954, - pour justifier le refus de soutien au projet sioniste sollicité par Herzl, dans sa visite privée au Vatican : comment pourrais-je reconnaître l’établissement en Palestine, terre sainte, d’un peuple qui lui-même ne reconnaît pas Jésus ? Voici le texte exact consigné dans les cahiers de Herzl qui devait mourir en Juin« la terre de Jérusalem a été sanctifiée par la vie du Christ. Les juifs n’ont pas reconnu Notre -Seigneur ; nous nous pouvons pas reconnaître le peuple juif ».

Le cas des Musulmans diffère qui sont, comme le dit le plus classique théologien de l’Eglise, le germano-italien, et dit-on de mère d’ascendance normande, saint Thomas d’Aquin ( né près de Naples et dont la sépulture est à Toulouse, dans une haute église fortifiée –l’ impressionnante église des Jacobins- formée de grands piliers en forme de « troncs de palmier » -comme ce vers quoi la Vierge se penche, dans ses douleurs d’enfantement, selon le verset 25, de la sourate 19, Maryam), des hérétiques du Christianisme nestorien, selon la doctrine officielle. La différence est importante, dans la mesure où –à suivre la théologie- aucune personne n’est damnable pour fait d’hérésie qui est intellectuelle, quand bien même l’hérésie comme le schisme ou séparation soit un crime, le salut étant affaire de la grâce ou volonté divine. !. Mais la différence essentielle qui n’est plus observée par l’Eglise est que toute reconnaissance de Jésus (béni soit-il) est une appartenance à son corps mystique, ce que Leibniz dit avec franchise et profondeur.

Dans son discours de Ratisbonne, au lendemain du 11 septembre 2006 , à la différence de son lointain prédécesseur, le pape pro-autrichien Pie X, l’actuel Benoît XVI a non seulement insisté sur la violence des Musulmans, au témoignage d’une lettre théologicopolitique de l’Empereur byzantin Manuel II Paléologue, en guerre à Ankara, et on a tiré ou suggéré une conséquence sur le fossé qui doit séparer les deux religions : en taisant ce qui les unit, alors qu’il ne dit pas aux fidèles catholiques que le vrai judaïsme de la bible sacrée est représenté par les Chrétiens et les Musulmans fidèles aux mêmes Prophètes.

Pourquoi se dissimuler hypocritement derrière un texte pour redire les paroles d’un monarque blessant, insultant son interlocuteur iranien d’alors « tu n’apprendras rien de nouveau.. que des choses mauvaises et inhumaines » chez le Prophète ? Cela est pire que les caricatures, de la part d’un savant et d’un chef !

Quelle différence avec la philosophie de Leibniz ! Le pape aurait-il renié l'esprit élevé de son pays natal comme Juda son maitre ?

Où sont les infidèles ? Qu’est-ce qui sépare les croyants en Jésus? Seule une intelligence angélique peut y répondre avec précision !

Mais n’est-ce point l’infidélité à sa propre foi qui est néanmoins, fondamentalement, le fardeau le plus lourd à porter au moment du jugement final ?

Par Pierre Dortiguier

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