L'étude linguistique des noms et des surnoms du Prophète de l'Islam

La science linguistique nous permet, en effet, de mieux comprendre certains aspects du Coran. L'un de ces aspects porte sur les nominations du vénéré Prophète de l'Islam (SA) dans le noble Coran.
Dans le noble Coran, le Prophète de l'Islam (SA) est désigné tantôt par les noms "Ahmad" et "Mohammad", tantôt par ses attributs et surnoms tels que "messager", "prophète", "Mozammal" ( مزمل ) et "Moddasser" (مدثر ) qui veulent dire "celui qui se cache dans ses habits". L'analyse linguistique visant à expliciter la philosophie de ces nominations et de ces surnoms fait l'objet du présent article.
La science linguistique nous permet, en effet, de mieux comprendre certains aspects du Coran. L'un de ces aspects porte sur les nominations du vénéré Prophète de l'Islam (SA) dans le noble Coran.
Dans divers versets du Livre saint des musulmans, le noble Prophète (SA) est nommé de différentes manières. Dans cet article, nous présenterons d'abord un bref aperçu des acquis linguistiques dans ce domaine, avant d'examiner les nominations utilisées dans le saint Coran pour le noble Prophète de l'Islam (SA).
L'analyse linguistique des interpellations et des apostrophes :
Adresser la parole, les interpellations et les mots en apostrophes constituent l'un des domaines les plus intéressants des études linguistiques, notamment de la linguistique appliquée. En réalité, dans de telles études, les aspects sociaux et pratiques de l'usage des pronoms de la deuxième personne du singulier et de la deuxième personne du pluriel, et leurs usages différents sont étudiés.
Certains linguistes ont consacré leurs ouvrages à l'étudie des phénomènes de la langue. Les travaux de Girts sur la langue javanaise constituent le point culminant de ces études. L'auteur a surtout le mérite d'être le précurseur des études linguistiques sur l'interpellation et les mots en apostrophe. Après lui, d'autres linguistes se sont intéressés à ce phénomène du langage, parmi lesquels nous pouvons citer l'œuvre très précieuse de Brown et de Lewinsen en 1987. Le travail le plus récent dans ce domaine, est la thèse du doctorat de Illen (1999) qui a été publié plus tard sous forme d'un livre en 2001.
Brown et Lewinsen ont publié leur ouvrage, d'abord sous forme d'un article, en 1987. La même année, ils ont introduit certaines modifications dans leur œuvre, en y ajoutant une introduction de 50 pages, pour la rééditer sous forme d'un livre. Le travail de Brown et de Lewinsen consistait à étudier la notion de la "politesse" et les différentes formes de l'usage de l'interpellation et les mots en apostrophe, en se fondant sur les œuvres du célèbre anthropologue américain Goffman. Dans leurs études, les deux auteurs ont accordé une importance toute particulière à la notion de "prestige", à savoir l'image que l'individu présente de lui-même dans la société (Yole 1996, p. 60).
Brown et Lewinsen ont établi une classification de la notion du "prestige", en y considérant l'existence d'un aspect positif et d'un aspect négatif du prestige. En ce qui concerne l'aspect positif du prestige, il s'agit de l'image que l'individu souhaite avoir dans la société. En ce qui concerne l'aspect négatif du prestige, il porte sur l'image que l'individu souhaite cacher à la société.
En se fondant sur cette classification du prestige, Brown et Lewinsen sont arrivés à classifier la notion de la politesse en deux groupes de politesse positive et de politesse négative. Pour définir ces deux notions, ils ont dit que la politesse positive est une action visant à respecter et à protéger l'aspect positif de la personnalité de l'individu interpellé, tandis que la politesse négative est une action visant à ternir l'aspect positif de la personne que l'on interpelle.
Les travaux de Brown et de Lewinsen nous montrent que les deux notions de la politesse, c'est-à-dire la politesse positive et la politesse négative, font l'objet d'une plus grande attention des linguistes. Après la publication du livre de Brown et de Lewinsen, plusieurs autres linguistes ont présenté leur critique sur leur travail, et ont essayé d'introduire certaines corrections dans les modèles présentés par les deux auteurs. Par conséquent, de nouvelles configurations ont été présentées pour expliquer la politesse positive et la politesse négative. Parmi ces nouveaux ouvrages, nous pouvons mentionner les travaux de Howsen (1996) et de Escalen (2001). Cependant il faut souligner que malgré les critiques formulées contre les travaux de Brown et de Lewinsen, et les modifications que les autres linguistes ont voulu introduire dans leurs modèles linguistiques, le système présenté par ces deux savants n'a rien perdu de son importance, et ce d'autant plus que toutes les modifications et corrections portées sur leur travail, s'appliquaient dans le cadre qu'ils avaient clairement défini pour leurs études.
Selon la théorie de Brown et de Lewinsen, l'une des raisons de l'usage de la politesse et des formes de politesse dans la langue, consiste à empêcher les conséquences des actions que les deux auteurs considèrent comme les facteurs perturbant et ternissant le "prestige" de la personne. Ils expliquent que les actions perturbant le prestige de la personne, sont celles qui sont susceptibles d'exercer une quelconque influence ou une ingérence dans l'espace personnel de l'individu, en portant ainsi atteinte à son prestige social.
Dans cette perspective, l'usage des mots et des expressions de politesse est considéré comme un facteur de protection pour le prestige de la personne. Brown et Lewinsen croient que la politesse est le résultat de l'action de deux facteurs à savoir l'intimité et la distance relative du point de vue des relations sociales. Ils estiment que les deux facteurs exercent des influences opposées l'une à l'autre.
Ceci étant dit, l'usage du prénom d'une personne, dans les interpellations, appartient au domaine de la politesse positive ou de l'intimité. En revanche, l'usage du nom d'une personne ou ses attributs, ses surnoms, son titre (administratif, social ou religieux), dans les interpellations, appartient au domaine de la politesse négative et aux distances à respecter du point de vue social.
A titre d'exemple, si l'on interpelle une personne par son prénom, on tente de créer ainsi un sentiment d'intimité ou d'amitié de la part de la personne qui adresse la parole, à la personne à qui la parole est adressée. Or, si l'on interpelle une personne par son nom, son surnom ou son titre social et officiel, on tente d'éviter d'entrer dans l'espace personnel de la personne, en respectant la politesse que nous pouvons considérer ici comme négative.
Par conséquent, plus l'interpellation est négative, plus on respecte les règles de la politesse négative par rapport à la personne à qui l'on adresse la parole (Agha, 1994). D'après la théorie de Brown et de Lewinsen, l'usage des mots de politesse et l'expression de la politesse négative s'expliquent par deux facteurs ; le pouvoir et les distances sociales relatives au rapport des forces.
Selon le premier facteur, plus la personne interpellée est puissante, plus celui qui l'interpelle tend à utiliser les mots de politesse quand il lui adresse la parole.
Selon le deuxième facteur, plus la distance sociale est grande entre la personne interpellée et interpellant, plus ce dernier tend à se servir des mots de politesse.
Les noms et les surnoms du Prophète (AS) dans le Coran :
Dans le noble Coran, le noble Prophète de l'Islam (SA) est nommé par des noms et des surnoms différents. En ce qui concerne le prénom du Prophète, son nom est enregistré sous deux formes : "Ahmad" et "Mohammad". Le prénom "Ahmad" n'est pris qu'une seule fois dans le Coran (Sourate LXI, verset 6), tandis que le prénom "Mohammad" est répété à quatre reprises (sourate III, verset 144 ; sourate XXXI; verset 40 ; sourate XLVII, verset 2 ; et sourate XLIII, verset 29).
Par ailleurs, dans les récits coraniques, le Coran fait allusion aux noms de plusieurs prophètes. Cependant, il paraît qu'il y a une différence entre l'appellation des autres prophètes et celle du vénéré Prophète de l'Islam (SA). Il est certain que les prophètes étaient tous interpellés par Dieu, mais il est intéressant de savoir que dans le texte coranique, les expressions telles que "O Prophète" ( يا ايها النبي ) ou "O messager" ( يا ايها الرسول ) ne sont utilisés que pour le vénéré Prophète de l'Islam (SA). En effet, il semble que dans la vision coranique, ces deux interpellations sont exclusivement réservées au Prophète de l'Islam (SA).
Dans le noble Coran, les autres prophètes sont souvent interpellés de la façon suivante : "O Jésus" (sourate III, verset 55), "O Yahya" (sourate XIX, verset 12), "O Moïse" (sourate XXVII, versets 9 et 10), et "O Adam" (sourate II, verset 33). Or, nous ne trouvons jamais l'interpellation "O Mohammad" ou "O Ahmad"; dans le noble Coran.
L'analyse linguistique des noms et des surnoms du Prophète de l'Islam (SA) :
Comme nous venons de le souligner, Brown et Lewinsen estiment que le respect de la politesse s'exprime par le mode d'interpellation d'une personne en utilisant son prénom. Mais il paraît que cette règle ne correspond pas à l'interpellation du Prophète de l'Islam (SA). Pour expliquer ce phénomène, nous pouvons dire que l'usage des prénoms du Prophète de l'Islam (SA), c'est-à-dire "Ahmad" et "Mohammad" est un moyen, dans le noble Coran, pour insister sur la personne du Messager de Dieu, afin qu'aucun autre individu ne puisse prétendre occuper sa place et se mettre à son rang.
Dans le verset coranique où se trouve le prénom "Ahmad", le Coran nous indique que le Prophète de l'Islam avait été déjà présenté dans la Thora et dans l'Evangile. Il s'agit donc d'un rappel pour dire que les Juifs et les Chrétiens connaissaient déjà le messager de Dieu et qu'ils reconnaissaient l'avènement du dernier messager de Dieu. Dans le verset 157 de la sourate III, nous lisons : "Ceux-là qui suivent le messager, le prophète gentil qu'ils trouvent en toutes lettres chez eux dans la Thora et l'Evangile." Pourtant, il faut savoir que cet usage du prénom n'a pas été constaté, lorsque le texte coranique interpelle le Prophète de l'Islam (SA) par le prénom "Mohammad".
Brown et Lewinsen disent que l'interpellation d'une personne par son surnom ou titre est un signe du respect et de politesse, dû au pouvoir ou à la distance sociale. Or, un tel usage n'existe pas dans le noble Coran pour interpeller le Prophète de l'Islam (SA), car Dieu est supérieur à tout et il est le plus puissant, comme nous le dit le saint Coran : "Il n'y a rien qui Lui soit semblable." (verset 11 de la sourate XLII)
Par ailleurs, il faut admettre que la question de la distance sociale relative n'intervient pas non plus dans l'interpellation faite par Dieu à Son messager dans le texte coranique. En réalité, il n'y a personne qui soit considéré comme étranger et inconnu pour Dieu. Par conséquent, l'usage d'une interpellation de politesse pour marquer cette distance sociale est exclu dans le noble Coran. Nous lisons dans le noble Coran : "Nous sommes plus près de vous que votre veine jugulaire." (verset 16 de la sourate L) Par conséquent, les deux facteurs du pouvoir ou de la distance sociale ne peuvent pas expliquer l'usage des interpellations telles que "O Prophète" ( يا ايها النبي ) ou "O messager" ( يا ايها الرسول ) dans le noble Coran.
Il semble alors que dans les cas où le Prophète de l'Islam (SA) est interpellé par "prophète" ou "messager" le texte coranique met directement l'accent sur la mission du Prophète de l'Islam pour enseigner la vérité aux humains. C'est la raison pour laquelle, il a été considéré comme supérieur aux autres humains.
C'est dans ce contexte que le noble Coran respecte les règles de politesse à l'égard du Prophète de l'Islam (SA) et appelle les gens à respecter le Messager de Dieu : "Ne traitez pas l'appel du Messager comme vous faites, entre vous, de l'appel des uns aux autres." (verset 63 de la sourate XXIV)
Conclusion :
Selon les linguistes, lorsque l'on souhaite exprimer son respect pour la personne à qui l'on adresse la parole, il faut respecter certaines règles linguistiques pour exprimer la politesse. Quand nous interpellons une personne par son prénom, nous insistons en fait sur l'intimité avec la personne interpellée. Lorsque nous interpellons une personne par son nom ou son surnom ou titre, nous insistons évidemment sur les facteurs tels que le pouvoir et la distance sociale.
Mais nous avons vu que ces règles linguistiques ne sont pas valables lorsqu'il s'agit des appellations faites par Dieu à Son messager dans le texte coranique. Par conséquent, lorsque le Prophète de l'Islam (SA) est interpellé, dans le Coran, par ses prénoms "Ahmad" ou "Mohammad", cela ne traduit pas une intimité. De même, lorsque le Prophète de l'Islam (SA) est interpellé dans le texte coranique par ses surnoms, il ne s'agit pas non plus d'insistance sur son pouvoir ou la distance sociale à respecter à son égard.
 

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