L'Islam chiite (5)

Grâce au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux, chers auditeurs, comme son titre l’indique, cette série d’émission a pour but de répondre à une question que nombre d’entre vous se posent ou se sont posée sans pouvoir y trouver de réponse pleinement satisfaisante : qu’est ce « shiisme » dont on n’entendait pas parler jusqu’à il y a trente ans ?
Des événements politiques déterminants des trente dernières années, de la Révolution islamique d’Iran au renversement de Saddam Hussein en passant par les stupéfiantes victoires du Hezbollah sur une armée jusque-là réputée invincible, ont été l’occasion de voir se multiplier les études académiques ou politiques sur le shiisme et les shiites, mais aucune ne nous présente jamais ce qu’est le shiisme pour les shiites : comment les shiites eux-mêmes comprennent et vivent le shiisme ? Quelles sont les doctrines et pratiques en lesquelles ils se reconnaissent et par lesquelles ils se distinguent ? Quels sont la « vision du monde » et l’« être au monde » propres aux shiites ? Même un livre explicitement intitulé Qu’est-ce que le shiisme ? ne fournit pas à cette question une réponse en laquelle les shiites se reconnaîtraient.
Or, telle est pourtant bien la première condition que doit remplir la présentation d’une religion, à savoir que ceux qui y adhèrent puissent en dire : « Voilà ma religion : c’est bien là ce que je crois et ce que je vis. »
Comme on l’a dit dans notre dernière émission, ce n’est pas que ces livres ne comporteraient pas de véritables informations sur le shiisme et les shiites, mais au contraire que les études approfondies d’un côté et les ouvrages de vulgarisation de l’autre véhiculent une quantité d’informations qui sont, soit trop superficielles ou secondaires, soit trop « techniques » et spécialisées, en laissant de côté les fondamentaux essentiels qui constituent précisément le shiisme.
Si par exemple une personne non chrétienne voulait connaître le catholicisme et qu’on lui fournissait pour cela quantité d’ouvrages spécialisés sur les origines du christianisme, l’histoire et le fonctionnement de l’Église, la scolastique et la mystique médiévales ou tout autre domaine de cet immense champ d’investigations, il connaîtrait sur cette religion quantité de choses authentiques et importantes dont les catholiques contemporains n’ont pour la plupart pas la moindre idée, mais resterait ignorant de ce qu’ils croient et vivent : ce qu’ils font dans leurs églises et leurs cérémonies, comment et qui ils prient, ce que sont pour eux le baptême, la confession, la communion, le mariage… ; ce que sont pour eux Dieu, Jésus-Christ, Marie et les grands personnages des Ancien et Nouveau Testaments… ; etc. etc.
Il en irait de même encore si on lui fournissait, pour connaître les catholiques, des études géopolitiques sur leur situation en Irlande, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis, en Chine, au Liban ou en Afrique : si importantes et authentiques que soient les informations qu’il pourra en tirer, elles ne lui permettront pas de connaître les catholiques en tant que catholiques, c’est-à-dire de connaître leurs idées, leurs représentations, leurs sentiments et leur vécu religieux, autrement dit ce qui précisément fait d’eux des catholiques, avant même d’être des catholiques dans telle ou telle situation.
Ces exemples devraient vous permettre, chers auditeurs, de mieux comprendre ce qu’on entend en affirmant ici qu’aucun livre en français sur le shiisme ou les shiites ne permet de connaître vraiment ce qu’est l’islam shiite et, par la même occasion, de comprendre ce que l’on entend faire dans cette série d’émission.
Ce dont il sera question, c’est de présenter, de la manière qui soit la plus compréhensible possible pour un auditeur sensé ne pas être shiite, la conception que les shiites eux-mêmes ont de leur religion et de son histoire et la manière dont ils vivent leur religion au quotidien, tant dans leurs pratiques cultuelles que dans leur vie sociale.
Il ne sera donc aucunement question dans ces émissions de ce que les uns ou les autres parmi les différents spécialistes s’intéressant au shiisme ou aux shiites pensent de cette religion, de ses origines, de sa constitution, de son histoire, de ses tribulations, de ses évolutions, de ses orientations, de son devenir, etc. etc. Non parce que cela serait dénué d’intérêt ou de justesse, là n’est pas la question, mais parce que cela ne serait tout simplement pas le shiisme tel que le pensent et le vivent les shiites, alors que ce que l’on entend avant tout connaître lorsqu’on veut connaître une religion est précisément comment la voient et la vivent ceux qui la vivent, car sans eux cette religion n’existerait tout simplement pas.
Ce qui vient d’être dit paraît simple et pourtant c’est là que réside le principal écueil de toute science des religions qui voudrait en faire des objets d’étude extérieurs et objectifs, alors que le fait religieux est par essence intérieur et subjectif. Le fait religieux n’est pas un objet extérieur, comme un processus physique, une structure sociale ou un événement historique, mais un objet intérieur qui se trouve dans l’âme et le cœur de ceux qui adhèrent à telle ou telle religion. Et non seulement c’est en leur âme et cœur que vit le fait religieux, mais c’est par et uniquement par leur âme et leur cœur que ce fait religieux vit. Il suffit qu’il n’y ait plus d’âme et de cœur pour croire à une religion et la faire vivre pour que cette religion n’existe plus et qu’il n’en reste que des traces et des vestiges.
Il est alors absurde de vouloir connaître une religion en faisant abstraction des cœurs en lesquels et par lesquels elle existe, car ce serait comme de retirer la vie à un être vivant pour étudier son processus vital : une fois mort, on n’aura plus affaire à sa vie, mais à son cadavre, et si ce cadavre peut donner lieu à quantité d’examens et d’études, il ne peut aucunement permettre d’y étudier la vie, puisque précisément il n’y a plus de vie en lui.
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Yahya Christian Bonaud