L’islam chiite (3)

L’islam chiite (3)

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Grâce au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux et Très-Miséricordieux, chers auditeurs, comme son titre l’indique, cette nouvelle série d’émission a pour but de répondre à une question que nombre d’entre vous se posent ou se sont posée et pour laquelle ils n’ont sans doute pas pu trouver de réponse les satisfaisant pleinement : qui sont donc ces « shiites » dont personne ou presque ne connaissait le nom ni ne soupçonnait l’existence jusqu’en cette année 1979 où les écrans de télévision se mirent à déverser quotidiennement d’incroyables images de « mollahs » et de « tchadors » menant une inconcevable « révolution islamique » contre un « roi des rois » des plus « moderne, civilisé et occidentalisé » — ces trois mots disant bien entendu la même chose pour toute personne « normale », c’est-à-dire « moderne, civilisée et occidentale » ?
Dans notre dernière émission, nous avons vu, avec un brin de mauvais esprit, comment shiisme et sunnisme se sont curieusement fait connaître — ou méconnaître — du monde non spécialiste, les médias ayant dans l’affaire au moins aussi bien joué un rôle de formatage et de déformation que d’information. On a ainsi vu que, s’étant fait connaître dans les années 80 par la « révolution islamique d’Iran », le shiisme passa longtemps pour n’être qu’une forme minoritaire et presque exclusivement iranienne de l’islam, dont la principale spécificité était d’être « extrémiste » et « fanatique », contrairement au sunnisme des « bons » moudjahidines afghans engagés dans un « juste combat » contre les « méchants » communistes soviétiques.
Dans les années 90, les certitudes se brouillèrent avec les tragiques événements qui meurtrirent l’Algérie, au début encore interprétés à travers la référence irano-shiite, et surtout la soudaine transformation de Saddam Hussein qui, de grand ami « laïque et progressiste » de la France et des Etats-Unis contre l’Iran « obscurantiste » devint sous nos yeux un diabolique génocidaire de Kurdes et… de shiites. Le papa Bush laissa néanmoins tranquillement le « nouvel Hitler » massacrer les shiites qu’il avait pourtant lui-même poussé à se soulever, tandis que le fiston Bush compta en bonne part sur ces mêmes shiites pour faire figure de libérateur de l’Irak, avant de sortir de scène en se prenant dans la figure les godillots d’un journaliste shiite qui n’avait semble-t-il pas bien compris le film.
Il faut dire que le scénario du film est loin d’être clair, d’autant qu’il se déroule dans des lieux de plus en plus diversifiés où tout change à tout bout de champ : un coup au Pakistan, où les shiites sont des bons, puisqu’ils se prennent au moins autant de bombes que les hindous de la part de méchants sunnites ; un coup au Liban, où les shiites sont des méchants, puisqu’ils envoient des bombes sur les bons israéliens ; un coup en Irak, où certains shiites sont des bons, amis des américains, qui reçoivent plein de bombes dans leurs mosquées et leurs marchés, tandis que d’autres sont bien méchants, puisqu’ils n’aiment pas les américains et lancent à leur chef des chaussures même pas nettoyées… Heureusement qu’on repasse de temps à autre par l’Iran, car là au moins, on s’y retrouve : c’est toujours du super-méchant, et même de plus en plus méchant, vu qu’ils rêvent de remplacer les chaussures par des bombes atomiques, ce qui est sans doute plus propre, mais fait plus de dégâts…
Trêve de mauvais esprit, on voudrait bien faire une pause pour tenter de comprendre qui sont ces « enturbannés » qui, du Liban à l’Irak en passant par le Liban et quelque peu le Pakistan ont, sans chaussures ou avec chaussures, mis les pieds dans le plat de la politique internationale, poussant l’impudence jusqu’à tenir en échec l’oncle Sam et son Israël chéri ? Qui sont ces gens qui se flagellent jusqu’au sang et dont on ignorait jusqu’à l’existence il y a seulement trente ans ? Au-delà des images et informations, qui nous rappellent leur présence sans rien nous apprendre d’eux, les livres, travaux de spécialistes et ouvrages ou émissions de vulgarisation se sont multipliés, mais s’ils comportent souvent quantité de données sur la géopolitique des sociétés shiites et leur histoire depuis les débuts de l’islam jusqu’à la mondialisation actuelle, ils ne nous disent quasiment rien sur la vision du monde et le vécu religieux qui font d’eux des shiites.
Quant aux écrits de nos « islamologues », on ne s’y retrouve plus entre les vertigineuses élancées intellectuelles de la théosophie et de la gnose shiites dans lesquelles nous entraîne Henry Corbin et ses élèves, d’une part et, par ailleurs, l’irrationalité mystique, voire quasi-magique des doctrines et pratiques qu’Amir Moezzi donne pour être le shiisme « d’origine ». Sans compter les orientalistes plus classiques, qui font des shiites une sorte de minorité « légitimiste » refusant que le chef de la communauté musulmane soit élu et ressassant invariablement à travers les âges un différend historique vieux de plus de mille ans ; ou au contraire les modernes « surfeurs de la vague shiite », dont les écrits relèvent autant sinon plus du journalisme que des études académiques et qui cherchent plutôt à impressionner par des « scoops » et des effets de « zoom » qu’à vraiment connaître et comprendre.
Étourdis plus qu’éclairés par une quantité d’informations et d’affirmations disparates, pour ne pas dire contradictoires, on n’arrive pas à mieux comprendre ce que sont au fond ces shiites et surtout ce qu’est fondamentalement ce « shiisme » dont ils se réclament et par quoi ils désignent la manière de comprendre et de vivre l’islam qui leur est propre : un ensemble de doctrines et de pratiques, une « vision du monde » et un « être au monde » qui leur sont spécifiques, au moins à leurs propres yeux, en quoi ils se reconnaissent et par quoi ils se distinguent. Même le livre de Mohammad ‘Alî Amîr-Moezzi et Christian Jambet, pourtant explicitement intitulé Qu’est-ce que le shiisme ? ne permet pas de fournir à la question qu’il pose une réponse en laquelle le commun des shiites pourrait se reconnaître.
Or, tel est pourtant bien le seul et unique critère définitif pour juger de la présentation d’une religion, et même d’une doctrine quelle qu’elle soit, à savoir que ceux qui y adhèrent puissent dire de cette présentation : « Voilà ma religion : c’est bien là ce que je crois et ce que je vis. » Le problème est qu’aucun shiite contemporain, tant iranien qu’arabe, turc, indo-pakistanais, africain ou autre ne saurait pleinement reconnaître sa religion, ou tout au moins ce qui en est fondamental et qu’il partage avec tous ses coreligionnaires, dans aucun des livres en français sur le shiisme.
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Yahya Christian Bonaud

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