La science héritée des prophètes

On peut comprendre ici l'apparence paradoxale, voire scandaleuse, que prennent aux yeux des gnostiques shî'ites certaines prises de position jusque chez les soufis sunnites, qui doivent au shî'isme, à l'imâmisme, l'idée même d'un héritage prophétique, et qui la déforment ou la mutilent avec une étonnante inconscience. Lorsque les soufis professent que la prophétie législatrice est achevée, tandis que la walâyat persiste éternellement, les shî'ites, certes, sont d'accord. Mais ils ne le sont plus du tout, lorsqu'il arrive aux soufis non-shî'ites de déclarer que les successeurs de la mission prophétique sont les canonistes, autrement dit les « quatre imâms » fondateurs des quatre grands rites juridiques de l'Islam sunnite, tandis qu'eux-mêmes, les soufis, perpétuent la walâyat. Cette répartition commence en effet par admettre l'existence d'un exotérique (zâhir) qui
subsisterait indépendamment de l'ésotérique (bâtin), ce qui est la négation pure et simple de la nohowwat bâtinîya et de la conception shî'ite de l'Islam.
On pourrait multiplier indéfiniment les citations de textes attestant chez les saints Imâms la conscience d'être les héritiers spirituels. Bornons-nous à celle-ci du IVe Imâm, 'Alî Zaynol-'Abidîn (ob. vers 95/714) : « Nous reconnaissons chez un homme, lorsque nous le voyons, la réalité de la foi ou celle de l'hypocrisie.
Nos shî'ites (nos adeptes fidèles) ont leurs noms écrits avec ceux de leurs ancêtres. Dieu a reçu de nous et d'eux l'engagement (mithâq, cf. supra III, 2). Ils passent par le chemin où nous passons. Ils entrent par l'entrée par laquelle nous entrons.
Nous sommes les Nojabâ (princes et guides spirituels). Nous sommes nommément désignés dans le Livre de Dieu. Nous sommes entre tous les humains les plus proches du Livre de Dieu, les plus proches de la religion de Dieu. Nous sommes ceux en vue de qui cette religion a été instaurée. Car Dieu dit dans son Livre : Il a été établi pour vous une religion, celle dont il fit jadis Noé l'héritier, et celle que Nous t'avons révélée, ô Mohammad! celle dont nous avons fait héritiers Abraham (42 : 11), Isrnaël, Isaac et Jacob. Or donc, nous sommes ceux qui savent, et notre science nous a été transmise, car nous avons été faits, nous, les dépositaires de leur science. Nous sommes les héritiers des prophètes; nous sommes les héritiers des ulû'l-'azm (les six grands prophètes législateurs parmi les Envoyés) ».
De ce texte il ressort que l'héritage transmis des prophètes aux Imâms, c'est la connaissance prophétique elle-même, et qu'en conséquence ils sont l'aboutissement en vue duquel furent établies les institutions des prophètes, car ils en connaissent l'ésotérique. Or, leurs shî'ites, leurs adeptes, « passent par le même chemin qu'eux, pénètrent par la même porte ». C'est parfaitement explicite : toute pensée philosophique éclose du shî'isme, sera une philosophie prophétique. Dans tous les hadîth où ils disent « nos shî'ites », les Imâms ne pensent pas à une parenté charnelle. Haydar Âmolî est très explicite : il ne suffit pas d'être un Sayyed (un 'Alawî, un Fâtemî etc.), il ne suffit pas d'une filiation extérieure, car celle-ci ne donne par elle-même aucun titre à un héritage qui est spirituel, non pas extérieur. Dans l'ordre de filiation extérieure, il peut en aller comme il en fut pour celui des fils de Noé qui ne fut pas sauvé du déluge. « O Noé! non, ce fils n'est pas l'un des tiens »
(II : 48). En l'absence de l'affinité (monâsabat) consécutive à l'engagement dans la voie spirituelle (tarîqat), donc en l'absence de qualification, c'est l'aptitude même à l'héritage qui est en fait absente. En revanche, cette aptitude existe chez ceux que l'on appelle les Owaysis, ceux qui sans shaykh terrestre, sans guide humain pareil à eux, ont été guidés intérieurement par l'Imâm. Cette même aptitude est par excellence typifiée en la personne de Salmân le Perse, Salmân le Pur (Salmân Pâk), ce fils de chevalier mazdéen, devenu chrétien et parti à la quête du Vrai Prophète, parce que le Prophète (ou le 1er Imâm) a déclaré à son sujet : « Salmân fait partie de nous, les membres de la Famille (Salmân minnâ ahl al-Bayt). » Ce n'est pas par une filiation extérieure charnelle (nisbat sûrîya) mais par une filiation spirituelle (nisbat ma'nawîya) que Salmân est devenu « membre de la Famille du Prophète ». Or, il n'y a pas d'agrégation spirituelle à une famille charnelle, ou bien il faut que cette famille devienne eo ipso famille spirituelle, pour que cette agrégation soit intelligible. C'est pourquoi Haydar Âmolî y insiste : l'adoption de Salmân implique que le terme de Famille, de Maison (Bayt), ne concerne pas la famille charnelle, extérieure (bayt sûrî), comprenant aussi bien les épouses et les enfants, mais la « Famille de la connaissance, de la gnose et de la sagesse » (Bayt al-'ilm wa'l-ma'rifat wa'l-hikmat).
Cela présuppose évidemment que cette famille existe. Précisément cette famille, ce sont les saints Imâms, comme Haydar Âmolî encore le montre en comparant le Prophète au père selon la chair, et l'Imâm au père spirituel (ab ma'nawî). Et cela parce que, si le lignage charnel n'a plus de sens pour l'autre monde, de même le lien extérieur, exotérique avec le Prophète- Envoyé, c'est-à-dire l'astreinte aux obligations de la sharî'at, disparaît dans l'autre monde; seul compte et importe le lignage spirituel créé par le lien avec l'Imâm, c'est-à-dire avec la réalité spirituelle de la révélation prophétique. L'Imâm est donc la source de l'affiliation spirituelle typifiée en Salmân. Et c'est si vrai que l'Imâm Ja'far définit son propre lignage en déclarant :
« Ma walâyat (le lien de ma dévotion spirituelle) envers l'Émir des croyants a plus d'importance que l'ascendance charnelle qui me relie à lui (walâyatî li-Amiri'l-mu'minîn khayr min wilâdatî min-ho). » Cette sentence récapitule ce que nous avons dégagé jusqu'ici.
En revanche, nous lisons dans la tradition du soufisme sunnite, par exemple chez Dâwûd Qaysarî (ob. 751/1350), commentateur d'Ibn 'Arabî, certaines choses qui scandalisent un auteur shî'ite comme Haydar Âmolî. L'auteur sunnite distingue une double catégorie d'héritiers : 1) une catégorie qui se rattache à l'exotérique (zahîr) et à la sharî'at; ce sont les canonistes, les docteurs de la Loi, les savants de l'exotérique ('olamâ' al-zâhir) ; 2) une catégorie qui se rattache à l'ésotérique (bâtin) et à la walâyat. Ce sont tous les Awliyâ en général.
Haydar Âmolî s'étonne : pas un mot chez Dâwûd Qaysarî sur les Imâms Immaculés, ceux dont la walâyat, au sens absolu et particulier, ainsi que la qualité d'héritiers sont pourtant établies par les traditions, la théologie et la philosophie. L'auteur shî'ite s'étonne de cet escamotage. En fait, celui-ci remonte très loin : à partir du moment où le soufisme a réussi à parler de la walâyat en passant sous silence la source de cette walâyat.
Si bien passée sous silence en effet, insiste Haydar Âmolî, que les Awliyâ deviennent tous les croyants indistinctement, alors qu'il n'y a pas de foi, au sens plénier du mot, sans la
walâyat, et que la walâyat serait inconcevable sans ces « Amis de Dieu » (les Imâms) qui sont initialement la forme de manifestation de l'amour divin (cf. encore infra chap. VII), et par là même sans la Famille à laquelle sont agrégés tous les émules de Salmân. En outre Dâwûd Qaysarî déclare froidement :
les héritiers du Prophète, ce sont ceux que l'usage courant dans le sunnisme appelle les « quatre imâms ». Le mot imam n'a plus ici l'acception technique shî'ite : il désigne les quatre fondateurs des quatre grands rites juridiques : Abu Hanîfa, fondateur du rite hanéfite (voir en note le récit d'une entrevue pathétique entre l'Imâm Ja'far et Abu Hanîfa); Ahmad ibn Hanbal, fondateur du rite hanbalite ; Malek ibn Anas, fondateur du rite malékite ; al-Shâfi'î, fondateur du rite shafi'ite. Un vénérable shaykh à qui j'expliquais un jour le phénomène que nous appelons « laïcisation du spirituel », remarqua : « Pareille chose s'est passée très tôt en Islam, lorsqu'on a rejeté l'enseignement de nos Imâms pour leur préférer celui des quatre fondateurs des rites juridiques. Par là même était éliminée la gnose shî'ite ('irfân-e shî'î). » Il faut donc s'abuser gravement sur l'essence du shî'isme pour le croire réductible, comme l'ont fait certaines tentatives de nos jours, à un « cinquième » rite à côté des quatre autres.
La réponse shî'ite de Haydar Âmolî est formulée d'emblée, avec véhémence :
1) Tout d'abord ces quatre personnages ont eux-mêmes désavoué avec énergie tous ceux qui, de leur temps, leur imputaient cette qualité d'héritiers du Prophète quant à la sharî'at. 2) Aussi bien n'auraient-ils pu prétendre à cette qualité, car ils ne possédaient pas la 'ismat, l'impeccabilité qui est le privilège des « Quatorze Immaculés ».
 3) En aucune manière leur science, qui est la science juridique, donc science de l'exotérique ('ilm al-zâhir), ne peut passer pour une science qui est héritage spirituel ('ilm irthî). C'est une science acquise de l'extérieur par l'effort de l'homme ('ilm iktisâbî). Le pivot de l'argumentation ici, est que l'héritage prophétique ne peut concerner l'exotérique comme tel; il concerne l'ésotérique (bâtin) de cet exotérique, puisqu'il consiste en la walâyat, laquelle est par définition l'ésotérique de la prophétie. Or, une telle connaissance n'est pas quelque chose que l'on acquiert de l'extérieur, ou que l'on peut construire à coup de syllogismes.
La science de l'exotérique, elle, résulte d'une acquisition de l'extérieur par l'effort de l'homme, et c'est pourquoi elle ne peut être science d'héritage (« traditionnelle » au sens étymologique).
La science qui est héritage est nécessairement la science de l'ésotérique, cette science que précisément possèdent les Imâms comme héritiers du Prophète, et avec eux leurs adeptes, leurs « shî'ites ».
Est-ce aux savants exotériques, à la science des canonistes, à toute science acquise de l'extérieur, qu'il faut rapporter certaines sentences du Prophète : « L'encre des savants est plus précieuse que le sang des martyrs. » « Les savants de ma communauté sont les homologues des prophètes d'Israël. »
Ou plus brièvement : « Les savants sont les héritiers des prophètes »? Si l'on se réfère à la gnoséologie esquissée ici au début, d'après les Imâms et leurs commentateurs, on comprend d'emblée la réponse de Haydar Âmolî : il serait extravagant de dire que n'importe quel savant dans le monde est un héritier des prophètes. Analysant la phrase arabe, notre auteur montre qu'elle est à entendre en ce sens : « Sont appelés les savants, ceux-là qui sont les héritiers des prophètes », c'est-à-dire ceux par lesquels continue, après la clôture de la prophétie législatrice, la prophétie secrète ésotérique (nohowwat bâtinîya) qui est la walâyat, c'est-à-dire les Imâms et leurs « shî'ites ».
On pourrait émettre une objection : faire valoir que même cette connaissance-héritage, c'est-à-dire les sciences théosophiques en général, requiert de l'effort, toute une ascèse de l'esprit et maints renoncements. Certes, il en est ainsi, répond Haydar Âmolî, mais il serait faux de dire que cette ascèse et cette recherche sont la source de ces sciences; elles y préparent, elles y rendent apte; elles sont un instrument, non pas la cause.
Car « Dieu agit non pas par les causes, mais dans les causes », Le don divin personnel s'accomplit sans considération d'une cause. Et notre auteur, pour le faire comprendre, recourt à cette comparaison : « Il en va comme pour une personne dont le père est mort en lui léguant un trésor qu'il a enfoui sous terre. Pour dégager ce trésor de la terre, il faut que l'héritier prenne de la peine, creuse et rejette la terre. Mais ce n'est pas cet effort qui produit le trésor (comme un syllogisme produit sa conclusion). Non, le trésor est déjà là. L'héritier n'a qu'à s'en ouvrir l'accès. Ainsi en est-il pour tous ceux dont le père, le Vrai Adam (Adam haqîqî, le Verus Propheta, l'Adam céleste), a laissé après lui, enfouis sous la terre de leur cœur, les trésors des théosophies. »
Il est impossible d'insister ici sur les aspects et les modalités de cette connaissance qui est héritage spirituel. C'est le thème de tout un chapitre (le chapitre III du IIIe livre) du grand ouvrage de Haydar Amolî (le Jâmi' al-Asrâr). Relevons encore au moins cette herméneutique du verset coranique 5 : 70 : « S'ils observaient la Torah, l'Évangile et ce que Dieu a fait descendre d'en-haut, les hommes jouiraient des biens qui dominent au-dessus de leurs têtes et de ceux qui. se trouvent sous leurs pieds. » L'observance de la Torah, explique notre auteur, c'est l'observance de la Loi quant à l'exotérique. L'observance de l'Evangile, c'est l'observance de la Loi quant au sens caché, ésotérique. L'observance du Qorân, c'est l'observance de la totalité. Le verset suggère donc la triple observance de la sharî'at (la Loi et le rituel), de la tarîqat (voie mystique), de la haqîqat (réalisation spirituelle), triade dont les termes sont rapportés respectivement aux plus parfaits des grands prophètes : Moïse, Jésus, Mohammad, de sorte que par ces prophètes les hommes ont l'aptitude à contempler les réalités invisibles du monde spirituel (haqâ'iq malakûtîya) comme les réalités visibles de ce monde sensible (haqâ'iq molkîya).
Il nous faudrait alors analyser les longues pages que nos auteurs consacrent aux espèces et variantes de ce que désignent techniquement les termes de wahy (communication par l'Ange) et ilhâm (inspiration). Haydar Âmolî montre comment tout ce qu'il y a eu de grands penseurs en Islam a dû finalement rejoindre le type de connaissance qui est gnose ou théosophie mystique.
Il est ainsi amené à esquisser une histoire critique de la philosophie et de la théologie en Islam, du point de vue de la théosophie shî'ite.
Cependant l'expression que nous venons de rencontrer de nouveau, le « Vrai Adam » (l'Anthropos céleste), nous invite, parce que là sans doute est le secret du célèbre hadîth de la vision du Prophète qui a déjà retenu notre attention, - à insister sur un troisième aspect de la hiérognose qui aussi bien peut se conjoindre aux deux premiers (wahy et ilhâm). Il s'agit de ce que désigne le terme technique de kashf, le « dévoilement »
(la perception théophanique), terme d'un usage courant dans le lexique technique des mystiques, mais avec des précisions qui varient de l'un à l'autre. Il s'agira ici du dévoilement mystique au cœur, donc d'un dévoilement spirituel, mais qui en même temps dévoile une forme, une figure (kashf ma'nawî suri).
C'est pourquoi ce mode de perception mystique met en œuvre ce que nous avons déjà appris à connaître comme les « sens spirituels » (hawâss rûhâniya) du cœur, dont les sens corporels ne sont que le prolongement vers le monde extérieur physique.
Le célèbre hadîth rapportant le témoignage du Prophète :
« J'ai vu mon Dieu sous la plus belle des formes » a sollicité, au long des siècles, la méditation des mystiques et gnostiques de l'Islam.
Retenons-en un aspect essentiel, parce qu'il signale le moment que nous avons évoqué tout à l'heure, celui où le Prophète, comme 'ârif (gnostique), atteint au cœur même de sa walâyat, le « Gabriel de son être ». Haydar Âmolî observe que, si Moïse eut la vision de l'Essence divine sous la forme du Buisson ardent, à plus forte raison cette vision théophanique est-elle concevable sous la forme de la Lumière et sous la Forme humaine.
Nos mystiques s'accordent à dire que ce que vit Mohammad dans cette perception théophanique, ce fut sa propre « forme » (la forme de son âme, sûrat nafsi-hi), parce qu'elle était « la plus belle des formes extérieurement et intérieurement ».
Ibn 'Arabî, de son côté, l'explique : la vision théophanique n'a jamais lieu que sous une forme correspondant à la forme de celui à qui elle se montre. Mais il reste à la préciser en termes shî'ites.
Telle que nous était présentée l'Intelligence de la « Réalité prophétique éternelle » (celle dont le Prophète a dit : « La première chose que Dieu créa fut mon Intelligence », « mon
Esprit », « ma Lumière »), nous avons reconnu en elle l'Anthropos céleste, la première Intelligence, premier prophète « dans le Ciel ». Or, Mohammad comme prophète est l'épiphanie terrestre de l'exotérique de cet Anthropos céleste. Ce qu'il a vu au cours de sa vision c'était donc bien sa propre Essence éternelle, le Vrai Adam, l'Homme éternel, comme théophanie primordiale.
Mais se voir soi-même (son âme), cela présuppose un moi-même plus intime à moi-même que moi-même, l'âme de ce soi-même.
Or, précisément nous savons que la Réalité prophétique éternelle est au fond de son essence, une bi-unité, constituée de la réalité primordiale de la prophétie et de la réalité primordiale de l'Imâmat. Ce qui est l'âme, l'esprit et le cœur de cette Réalité prophétique, c'est son ésotérique, à savoir la walâyat, et c'est cet ésotérique qui, lors de la période finale de la prophétie, est manifestée sur terre en la personne de l'Imâm. Le Prophète
et l'Imâm sont respectivement l'Intelligence et l'Ame, ou le Logos et l'Esprit, de la Réalité mohammadienne primordiale.
Aussi le Prophète désigne-t-il fréquemment le 1erImâm, 'Alî ibn Abî Tâlib, comme étant « sa propre âme », son « soi même ». Et précisément, si le Prophète eut la perception visionnaire de « son âme », de son « soi », c'est en tant qu'il était luimême un 'ârif, c'est-à-dire en tant que la walâyat était le cœur intime de son être, la source de sa mission prophétique; ce n'était pas une vision ressortissant à sa mission prophétique adextra.
Aussi, est-ce ce même « hadîth de la vision » qui mit les spirituels sur la voie d'approfondir jusqu'à la limite le sens de l'Imâm, - à la limite où l'on perçoit l'écho que se renvoient l'une à l'autre les différentes formes d'une même maxime :
« Celui qui se connaît soi-même, connaît son Seigneur »; - « Celui qui a contemplé sa propre âme (son soi-même), a contemplé son Seigneur, c'est-à-dire son Imâm ». - Enfin :
« Celui qui meurt sans avoir connu son Imâm, meurt de la mort des inconscients », puisqu'il meurt sans avoir connu « son âme », sans s'être connu « soi-même ». Comme nous le verrons encore (chap. VII), quelques textes des Imâms illustrent ces maximes, et nous font entrevoir de plus près comment et pourquoi la figure de l'Imâm domine le sentiment de la spiritualité shî'ite, la réalisation spirituelle de soi-même telle que l'envisage le shî'isme comme religion de la walâyat.
Parce que les saints Imâms sont à la fois les Trésoriers et le Trésor (c'est-à-dire les interprètes du sens et le sens même) de la science divine, toute la science qui est héritage spirituel des prophètes, celle qui en tant que telle est gnose et dont nous savons maintenant par quelle voie elle s'établit, - cette science nous reconduit à l'expérience-limite où le Guidé découvre son Guide et se reconnaît soi-même dans ce Guide. C'est pourquoi aussi, cette notion de l'héritage spirituel des prophètes commande l'idée même de la succession des cycles, l'idée du « cycle de la walâyat » succédant au « cycle de la prophétie », situant le spirituel dans un « entre-temps », entre le temps de celui qui fut le « Sceau de la prophétie » et le temps de la parousie du « Sceau de la walâyat mohammadienne ». La représentation de ce double cycle est essentielle pour la prophétologie et l'imâmologie du shî'isme.

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