Etude comparative de l’idée de Dieu dans les traditions chrétienne et musulmane (1)

Les trois grandes religions sémitiques, le judaïsme, le christianisme et l’islam, sont appelées religions abrahamiques car elles se réclament toutes les trois du prophète patriarche Ibrâhim (as) (Abraham). Les partisans de ces religions rendent un culte au Dieu d’Abraham, et ils Le considèrent comme leur Créateur et le Créateur du monde. Quant à savoir comment se définit le Dieu d’Abraham, comment les partisans de ces religions Le conçoivent, ce sont là des questions qui possèdent une antériorité logique sur les questions théologiques, à l’instar de la démonstration de l’existence de Dieu, de l’unité des Noms et des qualités. Tout au long de l’Histoire, les notions que les hommes qui ont cru en Son existence ont été exprimées de façon très diversifiées à Son sujet. Au point qu’il arrive que ces conceptions soient si différentes et éloignées les unes des autres qu’elles définissent en fait deux êtres tout à fait distincts. Par exemple, il arrive que Dieu soit représenté comme un être ayant mis en mouvement, dans un passé lointain, deux mondes avant de les abandonner à eux-mêmes. Dans cette conception, que l’on appelle théologie naturelle, Dieu est absent de notre monde, et n’y joue aucun rôle dans son cours, après avoir mis en marche le moteur.
Un autre exemple est cette conception que l’on attribue parfois à Aristote : « Il n’existe aucune preuve laissant penser qu’Aristote ait jamais considéré le Premier moteur comme un objet de culte et d’adoration. Encore moins qu’il le considère comme un être à qui on adresserait des prières. En réalité, si le Dieu d’Aristote était totalement souverain et arbitraire, comme nous pensons qu’il devrait être, le discours selon lequel les humains devraient s’efforcer d’établir avec lui une relation personnelle prendrait automatiquement fin. Dans son Ethique à Nicomaque, Aristote dit clairement que les humains qui s’imaginent pouvoir aimer Dieu sont dans l’erreur, parce que :
a.    « Dieu ne peut pas répondre à nos sentiments d’amour envers lui. »
b.    « Nous ne pouvons en aucune façon affirmer que nous aimons Dieu. »
Il est clair qu’un tel dieu est tout à fait étranger aux croyants partisans des religions abrahamiques. La motivation principale de ces adorateurs de Dieu n’est pas de rencontrer le Premier Moteur du monde ou quelque chose de semblable. Ils sont plutôt à la recherche d’un Dieu qui régisse leur vie, qui les guide et qu’ils puissent adorer, Lui montrer de l’amour et que Lui aussi témoigne de Son amour envers les humains. Un Dieu qu’ils puissent appeler, invoquer dans leurs prières et qui vienne à leur secours, ou réponde à leur demande.
Dans cet article, nous nous proposons d’étudier l’idée de Dieu et les modalités de connaissance de Dieu du point de vue des deux traditions chrétienne et musulmane.
1.    Le Dieu d’Abraham dans les deux traditions chrétienne et musulmane.
A.    Le Dieu d’Abraham dans l’Ancien Testament et le Nouveau Testament
Dans l’Ancien Testament, qui est aussi reconnu comme faisant partie des Ecritures du Christianisme, il est fait mention à plusieurs reprises du Dieu d’Abraham. Au début de la mission de Moïse (as), Dieu se fait connaître en tant que le Dieu d’Abraham.
« Et il ajouta: Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu. » (Exode (1) , 3 : 6)
« Dieu dit encore à Moïse: Tu parleras ainsi aux enfants d'Israël: L'Eternel, le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, m'envoie vers vous. Voilà Mon Nom pour l'éternité, voilà Mon Nom de génération en génération. » (Exode, 3 : 15)
« Va, rassemble les anciens d'Israël, et dis-leur: L'Eternel, le Dieu de vos pères, m'est apparu, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Il a dit: Je vous ai vus, et j'ai vu ce qu'on vous fait en Egypte. » (Exode, 3 : 16)
Le Nouveau Testament ne fait pas connaître un Dieu nouveau, et n’apporte pas non plus un enseignement nouveau au sujet de Dieu, mais proclame que Dieu, le Père et le Messie sont le Dieu même d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et le Dieu des alliances précédentes. On lit ainsi dans le Nouveau Testament :
« Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham, lorsqu'il était en Mésopotamie, avant qu'il s'établît à Charran. » (Actes des Apôtres, 7 : 2)
« Abraham crut à Dieu… Il est le père de tous ceux qui ont cru à Dieu… » (Romains, 4 : 3 à 11)
« Comme Abraham crut à Dieu, et que cela lui fut imputé à justice, reconnaissez donc que ce sont ceux qui ont la foi qui sont fils d'Abraham. Aussi l'Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d'avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham: toutes les nations seront bénies en toi! De sorte que ceux qui croient sont bénis avec Abraham le croyant. » (Galates, 3 : 6 à 9)
2.    Le Dieu d’Abraham dans le Coran
Dans le Coran aussi, il est fait mention de la religion d’Abraham :
« Abraham était un guide [Umma] parfait. Il était soumis à Dieu, voué exclusivement à Lui et il n'était point du nombre des associateurs. » (sourate Al-Nahl (Les Abeilles) ; 16 : 120)
« Quand son Seigneur lui avait dit : “Soumets-toi”, il dit : “Je me soumets au Seigneur de l'Univers”. Et c'est ce que Abraham recommanda à ses fils, de même que Jacob : “Ô mes fils, certes Dieu vous a choisi la religion : ne mourrez point, donc, autrement qu'en Soumis [à Dieu]." Etiez-vous témoins quand la mort se présenta à Jacob et qu'il dit à ses fils : “Qu'adorerez-vous après moi” ? - Ils répondirent : “Nous adorerons ta divinité et la divinité de tes pères, Abraham, Ismaël et Isaac, Divinité Unique et à laquelle nous sommes Soumis”" » (sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : versets 131 à 133)
Toujours au sujet du culte d’Abraham, le Coran dit :
« Qui donc aura en aversion la religion d'Abraham, sinon celui qui sème son âme dans la sottise ? Car très certainement Nous l'avons choisi en ce monde; et, dans l'au-delà, il est certes du nombre des gens de bien. » (sourate Al-Baqara (La vache) ; 2 : 130)
« Dis : " Dieu dit vrai. Suivez la religion d’Abraham, en tant que croyant originel : il n’était point des associateurs " » (sourate Âl ‘Imrân (la Famille d’Imrân) ; 3 : 95)
« Quoi de plus beau, en religion, que de soumettre sa face à Dieu, outre le bel-agir, et de rallier la cohorte d’Abraham, en croyant originel, Abraham que Dieu élut pour intime ami ? » (sourate Al-nisâ’ (Les femmes) ; 4 : 125)
« Puis Nous t'avons révélé : “Suis la religion d'Abraham qui était voué exclusivement à Allah et n'était point du nombre des associateurs”... » (Sourate Al-Nahl (Les abeilles) ; 16 : 123)
On peut en conclure sans aucun doute que le Dieu de ces deux traditions est le même et Unique. Les noms par lesquels Il est désigné se rapportent à un seul et même Être. Même si parfois, il peut y avoir une différence dans les noms et attributs de Dieu, comme cela peut se produire d’ailleurs entre les adhérents d’une même tradition.
1.    Connaissance de Dieu et théologie transcendante dans le christianisme et l’islam
A.    Connaissance de Dieu et théologie transcendante dans le christianisme
Selon la Torah, lorsque Moïse (as) fut suscité comme prophète, il dit à Dieu :
« Moïse dit à Dieu: "J'irai donc vers les enfants d'Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m'envoie vers vous. Mais, s'ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je? ". Dieu dit à Moïse: Je suis celui qui suis. Et il ajouta: C'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël: Celui qui s'appelle ‘’ Je suis ‘’ m'a envoyé vers vous. » (Exode, 3 : 13 et 14)
Quand Dieu lui-même se décrit comme Celui qui possède l’être, et qui ne juxtapose à cela aucun autre titre, on comprend qu’Il est l’Être Pur. Est-ce que ce Pur Être est une personne, ou bien est-ce une chose ? Dans notre monde et dans le devenir des hommes, est-Il à l’écoute et réagit-Il ?
Selon Martin Buber (1878-1965), notre relation à Dieu est du type « Moi-Autre » ou « moi-Lui ». Par conséquent, pour faire connaître le Dieu d’Abraham, il est nécessaire de compléter la définition de l’Etre Pur, par d’autres déterminations.
Le Nouveau Testament rapporte que Jésus (as) a dit : « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui L'adorent, L'adorent en esprit et en vérité. » (Evangile de Jean, 4 : 24). Et ceci peut être aussi interprété comme l’une des déterminations. Comme il a été dit par certains : « Dieu est Être par Essence, et Dieu est par Essence un Esprit. »
La discussion au sujet de Dieu dans le christianisme
La théologie chrétienne travaille sous cinq principaux chapitres : l’Essence divine, les Attributs de Dieu, la quiddité de Dieu, la Volonté de Dieu et les actes ou œuvres de Dieu.
1.    L’Essence de Dieu dans le christianisme :
a) Jésus (as) a dit que « Dieu est Esprit », c’est à dire qu’Il a une existence spirituelle. De la nature spirituelle de Dieu, on peut tirer quatre conséquences :
1) Dieu est immatériel et ne possède pas de corps. Les mentions de parties anthropomorphiques, comme la main, l’œil, la tête, etc., que l’on trouve dans le Livre sacré, doivent être interprétées allégoriquement ou symboliquement.
2) Dieu est invisible. Il est Celui « qui seul possède l'immortalité, qui habite une lumière inaccessible, que nul homme n'a vu ni ne peut voir, à qui appartiennent l'honneur et la puissance éternelle. » (Timothée 1, 6 : 16)
« Il est l'image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création. » (Colossiens, 1 : 15)
Si dans les Textes sacrés, on rencontre des expressions évoquant la vision de Dieu, il faudra les comprendre dans le sens de la vision des actes de Dieu et des effets de Sa majesté.
3) Dieu est vivant, c'est-à-dire qu’il possède des sentiments, une puissance et une activité. Il n’est pas seulement Vivant, il est la source de la vie et Celui qui la maintient.
4) Dieu est une personne, parce qu’Il est un esprit, de la même façon que l’esprit humain possède une personnalité. Il ne peut pas être inférieur à l’homme. L’Essence de la personnalité divine est la conscience de soi et le libre arbitre. Il ressort du Livre saint que Dieu possède des spécificités psychologiques, comme la raison (Actes, 15 : 18), les sentiments (Jean, 3 : 16), la volonté (Jean, 6 : 38). Le Livre Saint attribue également à Dieu des caractéristiques et des relations, comme de posséder la parole, la vue, l’ouïe, éprouver la tristesse, le regret, se courroucer, être jaloux et être miséricordieux.
b) Dieu possède un être indépendant. « Dieu dit à Moïse: Je suis celui qui suis. » (Exode, 3 : 14). Thomas d’Aquin dit : « Dieu est la cause des causes, et Il est sans cause Lui-même. »
c) Dieu est infini. (Actes des Apôtres, 17 : 24 à 28)
d) Dieu est éternel. Dans le Livre Saint, Dieu est qualifié à plusieurs reprises d’être sans commencement et sans fin, éternel, infini.
2.    Les attributs divins dans le christianisme
On entend par attributs des qualités existant dans Son Essence. En d’autres termes, ces qualités sont déduites de l’analyse de Son Essence. Il existe différentes classifications des attributs de Dieu, comme de les classer en attributs positifs et en attributs négatifs. Selon l’une de ces classifications, les attributs de Dieu sont :
a.    Des attributs ne possédant pas d’aspect moral.
-1. Présence absolue. Dieu est présent à toute Sa création, mais Il ne se limite pas à cette création. Loin de là, Il est bien au-dessus de cela et Il est infini.
-2. Science absolue : Dieu se connaît et connaît tout et tous les évènements à venir, et Il en a une science certaine. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit se connaissent aussi parfaitement. (Mathieu, 10 : 3 ; Epître de Paul au Hébreux, 4 : 13)
-3. Puissance absolue : Dieu accomplit tout acte qu’Il veut accomplir et qui correspond à Ses perfections (Apocalypse, 4 : 8)
-4. Dieu est Immuable : Comme Dieu n’est pas composé d’un corps et d’un esprit et qu’il est Pur Esprit, aucun changement ne peut intervenir en Lui. (Deuxième Epître aux Corinthiens, 1 : 20)
b) Les Qualités morales de Dieu :
-1. Sacralité. Il se distingue de Ses créatures et Il les transcende. Il est Pur de toute vilénie morale et de tout péché.
- 2. Equité : Cela consiste en Sa sacralité dans Son comportement avec Ses créatures. Il existe des dizaines de versets qui témoignent de la justice et de l’équité divine.
-3. Il est Miséricordieux : Cette qualité véhicule les sens d’amour, de bienveillance, de pitié et de douceur de Dieu.
-4. La Vérité : Dieu est la Vérité ou la Réalité. Il est science et épiphanie et ses manifestations (épiphanies) sont toujours conformes à la réalité. Dieu est la source de toutes les réalités. Le fait que Dieu soit la Vérité, dans Ses relations avec Ses créatures s’entend dans ce sens qu’Il est Sincère, Digne de confiance, et qu’Il tient toutes Ses promesses.
3.    La quiddité de Dieu dans le christianisme
Dans le christianisme, Dieu est Un, simple, unique, sans pareil, infini et parfait. Il est contraire à la raison et à la logique de se représenter deux êtres infinis ou plus encore. Mais, toujours selon le christianisme, l’unicité de Dieu n’est pas en contradiction avec Sa Trinité, parce que l’unité composée n’est pas comme une unité simple. Il nous est impossible de concevoir qu’en même  temps que nous professons l’unité de Dieu, d’admettre l’existence de trois hypostases. Les chrétiens croient donc que dans l’Essence divine, la Trinité existe dans l’unité même. De nombreuses sectes hérétiques se sont séparées du christianisme primitif parce qu’elles n’avaient pas appréhendé correctement l’enseignement au sujet de la Trinité.
4.    La Volonté de Dieu dans le christianisme
Dans ce sujet, il est nécessaire de rappeler les explications suivantes :
1. La volonté de Dieu est l’expression de Son objectif éternel. Tout au long de l’histoire humaine, Dieu ne met pas en plan son rôle pour chaque étape, et surtout ne le change jamais. Son programme a été décidé de toute éternité.
2. La volonté de Dieu repose sur la base de Sa résolution sacrée et sage. Dieu est un Savant absolu et Il sait parfaitement où se trouve le mieux. Comme il est Sacré et Saint, il ne peut avoir de but mauvais.
3. La volition divine procède de la volonté éternelle de Dieu. Il choisit ses « buts » en fonction de Ses qualités.
4. Dieu est le Puissant absolu, et Il peut faire ce que bon Lui semble.
5. L’intention ultime de cette volition consiste dans la « Majesté de Dieu ». L’intention originelle, en première instance, n’est pas de susciter la joie des créatures ni de perfectionner les saints.
6. Il existe deux sortes de volonté en Dieu : une qu’Il exécute Lui-même, et l’autre qu’Il permet qu’elle soit exécutée.
7. La volition divine consiste dans tous les évènements qui sont appelés à se réaliser, embrasse le passé, le présent et le futur. Comme l’a dit un théologien : « Avec sa puissance infinie et Sa sagesse éternelle, Dieu a défini de toute éternité les cours des évènements sans aucune exception. »
5.    Les actes de Dieu dans le christianisme
Les actes divins entrent dans deux catégories principales :
-1. La création qui se produit sous deux formes :
a.    La forme directe qui est la conséquence du Dieu trine qui, à l’origine pour manifester Sa Gloire et sans recourir à des matériaux préalablement existants, a amené à l’être l’ensemble du monde visible et du monde invisible, et ce par un seul commandement.
b.    La création indirecte qui consiste dans les choses qui n’ont pas été amenées à l’existence à partir du néant. Il s’agit plutôt des choses qui transforment d’autres choses et leur donnent une autre identité.
-2. Le commandement absolu qui s’étend à deux domaines :
a) la préservation par Dieu, et
b) la gestion divine du monde.
(A suivre)

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1 Nous avons repris les traductions des versets bibliques (Ancien et Nouveau Testament) dans des sites spécialisés de l’internet.

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